15 mars 2012
Chaque arène a ses charmes, certaines sont plus prestigieuses que d’autres, mais, qu’on le veuille ou non, la planète taurine tourne autour d’un axe : Madrid. Les autres plazas jouent chacune leur partition mais Las Ventas donne le la, pour le meilleur ou pour le pire. On comprend donc que le cahier des charges de ces arènes (à l’automne dernier), le renouvellement de son équipe dirigeante (en ce début d’hiver), ou la publication (attendue) des programmes de la saison, donne matière à d’infinies spéculations, en cette période de conflits internes et de crise économique de la fiesta. Chacun pressent que l’avenir de la corrida se joue cette saison et chacun sait qu’il se jouera en grande partie à Madrid.
Pour nous en parler, nul n’était plus indiqué que le célèbre écrivain et critique taurin, Carlos Abella. Auteur d’ouvrages de référence (Historia del toreo -en deux volumes – 1992, biographies de Paco Camino -1994- et de Luis Miguel Dominguín – 1995 – essai sur l’influence du langage taurin sur la langue quotidienne – 1996- et plus récemment De Manolete a José Tomás – 2007- et José Tomás, un torero de leyenda – 2008), il est actuellement un des personnages clés de la politique taurine, puisqu’il est responsable des affaires taurines de la Communauté de Madrid. Nous sommes donc fiers de recevoir
Carlos Abella
pour une causerie en français sur le thème :
Madrid : arène et politique
Le compte-rendu de Philippe Paschel
Il y avait foule dans la cave gothique du Loubnane pour recevoir CARLOS ABELLÁ.
La parole taurine allait y résonner encore une fois, après Emilio Muñoz, Stéphane Fernandez Meca, Alejandro Talavante, El Chano, Juan Bautista, Julien Lescaret, Juan José Padilla ou encore Victorino Martín fils, Antonio Miura, Robert Margé, Dolores Aguirre ou Françoise Yonnet, pour ne citer que des acteurs du monde du taureau.
Rappelons que Loubnane signifie Liban, région qui rêve de sa cohabitation de cultures comme l’Al-Andaluz médiéval.
François Zumbiehl présenta notre hôte comme observateur, acteur et grand intellectuel sur la planète des taureaux. C’est d’abord un écrivain qui a publié des livres d’histoire de la tauromachie et des biographies, comme celles de Paco Camino, Luis Miguel Dominguín ou récemment de José Tomas, et aussi une bibliographie d’Adolfo Suárez.
Il a occupé des postes importants dans la haute administration et est actuellement conseiller aux affaires taurines de la Communauté Autonome de Madrid (CAM), et comme tel responsable de l’organisation des corridas du 2 mai et de la Beneficiencia. [www.carlosabella.es/ ; il tient également un blog “Siempre nos quedará Paris”].
Carlos Abellá est très content de pouvoir s’exprimer en français sur notre passion des taureaux : nous vivons un moment difficile et les français ont joué un rôle important en ayant eu une approche culturelle de la tauromachie. Derrière notre amour des taureaux, il y a une sensation spirituelle, éthique, morale et artistique. Beaucoup de gens n’ont
pas appris ce que c’est que d’aimer les taureaux et les espagnols ont perdu beaucoup de temps pour l’expliquer, tenant leur situation pour acquise.
Il lui plaît de penser que la corrida s’est d’abord implantée dans le sud-ouest de la France parce que Bayonne ou Bordeaux étaient à mi-chemin de Madrid et Paris où les toréros se rendaient pour toréer aux arènes de la rue Pergolèse lors de l’exposition universelle de 1889.
C’est la CAM qui a eu la première l’idée de déclarer la corrida BIC (Bien de Interés Cultural), même si, du fait de la longueur des procédures, c’est Murcie qui l’a réalisé la première.
A Madrid, il n’y a pas de tradition de fêtes populaire, c’est un Tribunal et il y a peu de jeunes. Au contraire, dans les villages, les jeunes participent à la fête. Lors d’une visite de collégiens au musée de Las Ventas, tous avaient des écouteurs dans les oreilles et c’est seulement en arrivant dans une salle où était projeté un film avec de la musique
qu’ils les ont enlevés.
La génération à laquelle lui-même appartient admirait l’héroïsme, mais aujourd’hui cela n’est plus important et le monde reste indifférent au fait qu’un matador qui a perdu un oeil revienne si vite au combat. Néanmoins, les jeunes qui veulent devenir toréros ne le font pas pour de l’argent, mais pour se réaliser. Il y a des fils de matadors qui ont réussi qui tentent aussi une carrière difficile et dangereuse.
La CAM aide les villes de moins de 20.000 h., appuie les écoles taurines et essaient de faire des conditions tarifaires aux jeunes pour les abonnements à Las Ventas (100 euros). Elle aide les peñas et organise des expositions : collection Arias (coiffeur de Picasso à Vallauris), La femme et la tauromachie (exposition itinérante) ou des événements (congrès des clubs taurins américains, présidé par Lorrie Maning).
Enfin, la CAM vient de créer un Prix de Tauromachie.Y a-t-il des journalistes dans la salle ?
Cela fut le refrain humoristique de notre invité avant de répondre à certaines questions dont vous ne trouverez donc pas les réponses ici. Il fallait venir.
Il y eu un assez long débat sur les moyens de faire venir les jeunes aux arènes, depuis un abonnement gratuit, jusqu’à des mesures pour les enfants accompagnés.
Pour notre invité le véritable problème réside dans les valeurs que défend la tauromachie. Il souligne que lorsque la gauche est venue au pouvoir municipal, elle a été obligée d’organiser les fêtes et que la corrida, alors considérée comme liée à la droite, a été sauvée à ce moment-là. Mais les personnes liées à la fiesta n’ont pas su créer de structures solides et personne n’a vu venir le tsunami de l’incompréhension.
Certains pensent que la désaffection des publics est due à la perte de caste des taureaux, à l’absence de représentation des aficionados dans l’organisation des férias, contrairement à ce qui se passe en France.
Carlos Abellá nous raconta comment il avait monté le cartel de la Beneficiencia 2011, quelles sont les raisons de l’absence de Juli à las Ventas cette année [Il semble qu’il y ait eu un informateur du journal El Mundo, puisque tout cela y a été dévoilé le lendemain de cette réunion).
Il nous a donné quelques informations sur la San Isidro et indiqué qu’il y aurait une animation sur la place.
La présence des corridas sur TVE lui paraît prématurée en 2011, mais est peut-être possible en 2012.
Pour finir une anecdote de Morante qui lui faisait la proposition suivante : “Plutôt que d’augmenter la taille des taureaux, ne pourrait-on pas plutôt baisser la hauteur de la barrière ?”.