Jeudi 13 novembre 2014
– Le Club Taurin de Paris est heureux de recevoir pour la deuxième fois José Luis Ramón, directeur de 6toros6 qui, en tant que professionnel expert, présentera sa lecture de la saison 2014 qui a été fort complexe. En tant que torero et spécialiste des suertes de toreo, il nous proposera ensuite, à partir de l’analyse d’une seule passe de muleta, une approche technique et historique de nature à illustrer la riche variété des innovations et des emprunts dans l’exécution des figures.
La saison 2014
– Cette temporada a été dominée par la « politique » taurine alors que JLR préférerait parler de ce qui s’est passé dans le ruedo. Séville a été marquée par l’absence des toreros du « G5 » et la saison s’est terminée par des déclarations catastrophiques de l’association des empresas. Les matadors du « G5 » ont respecté leur engagement de ne pas aller à Séville. Même s’ils avaient sans doute leurs raisons, ils ont eu tort de procéder ainsi. Le résultat fût que la féria d’avril a été désastreuse, sans doute la plus triste de toutes les férias de 2014. Selon l’empresa, les toreros demandaient trop d’argent, mais la résultante de l’absence du « G5 », entrainant une faible assistance du public, a été, aux dires de l’empresa, une perte financière. A l’opposé, la San Isidro s’est mieux et bien portée ; le grand triomphateur fût Miguel Angel Perera, 5 oreilles et deux grandes portes. Il a marqué 2014 par sa régularité et la grande évolution de son toreo.
El Juli a été irrégulier ; 2014 est sans doute la saison la plus faible de sa carrière. Il est redevenu lui-même les deux derniers mois de sa saison.
Tous pensaient que 2014 serait l’année de Fandiño, de Manuel Escribano et de Juan del Alamo. Ces deux derniers n’ont toujours pas rejoint le clan des figuras. Miguel Abellán et Pepe Moral que personne n’attendait ont bien surpris le monde des aficionados. Autre grand triomphe, celui de la féria d’otoño, marquée par le succès de Diego Urdiales que l’on devrait voir davantage. Certains à force de risquer leur vie, ont finalement émergé ; nous verrons si dans le futur les organisateurs n’ont pas d’autres choix que de les engager ?
2014 a révélé la dynamique des novilladas où de nombreux novilleros de qualité sont apparus, ce qui n’était pas arrivé depuis longtemps. On a le sentiment qu’une nouvelle génération est prête à assurer la relève : José Garrido est mûr pour l’alternative. Borja Jiménez et Francisco José Espada donnèrent beaucoup de satisfaction, de même que Varea à Saragosse.
Autre fait marquant : la globalisation de plus en plus importante, avec l’introduction en Europe d’entreprises mexicaines qui apodèrent Talavante, et seraient en pourparlers avec Diego Ventura. Elles ont acheté l’élevage Zalduendo et s’intéresseraient en Espagne à des arènes de propriété privée.
La mode des matadors apodérés par d’anciens toreros (Roberto Domínguez, Curro Vásquez …) semble évoluer. On observe le retour des entreprises « classiques », ce qui pourrait par ailleurs faciliter le rapprochement des toreros du « G5 » avec Séville.
José Tomas se satisfait avec trois corridas, là où il pourrait en toréer quatre vingt. Mais ces trois là démontrent que là où va JT, il n’y a pas de crise, les arènes sont pleines. L’autre luxe fût le retour de Joselito.
L’autre bonne nouvelle est qu’au global, on estime que la fiesta en Espagne a arrêté son déclin et qu’elle avait touché le fond : en 2014, la tendance de baisse des spectacles, commencée en 2007, apparaît arrêtée. La suppression des spectacles taurins dans les places de Barcelona, San Sebastián, Quito et Bogota relève de choix politiques et n’a donc rien à voir avec la crise. La France reste un exemple car la fiesta y est très bien organisée, il n’y a pas de crise, le nombre de corridas est pratiquement le même.
La saison s’est terminée par la déclaration incendiaire de l ‘ANOET (Asociación Nacional de Organizadores de espectáculos taurinos) indiquant que la fiesta était en état de faillite et courait à sa perte. Il y a des plaintes de tous les côtés mais la situation serait totalement autre si les différentes parties concernées avaient travaillé ensemble à rechercher des solutions ce qu’elles n’ont jamais fait quand tout allait bien.
Après l’exposé proprement dit, José Luis Ramón a répondu à diverses questions : en matière d’élevages, 2014 a été une bonne année et régulière pour Victoriano del Rio et Garcigrande/Domingo Hernandez, irrégulière pour Miura qui a connu des hauts et des bas. Victorino Martin se maintient à son niveau, ni très haut ni très bas.
A la question de savoir si les figuras mettent leur veto à la présence des toreros qui montent, la réponse est négative. Toutefois les figuras craignent que, dans une affiche où ils seraient seuls avec des toreros qui montent, on leur fasse porter la responsabilité d’une faible entrée et qu’en conséquence leur image et leur côte puissent en être pénalisées.
Au sujet du veto du G5 sur sa présence à Séville, il semblerait que le leader ait été Morante et non El Juli et que le moins convaincu des cinq fût Manzanares.
On demande également à José Luis Ramón de dire quels seraient, pour lui, trois moments forts de l’année sur le plan tauromachique. Il récuse l’idée qu’on puisse être sélectif à ce point, et dit qu’il voudrait garder en mémoire beaucoup plus que trois moments. Il cite néanmoins le toreo de cape de Morante à Valencia, Jose Garrido dans la même ville, Perera à Madrid, Juan Mora à Las Rozas, Diego Urdiales à la féria d’automne de Madrid, José Tomas à Grenade…
José Luis Ramón termine cette première partie de la soirée par un panégyrique de Jose Maria Manzanares, récemment décédé.
Approche d’une passe : la manoletina
– La seconde partie de la soirée est consacrée à l’analyse de la manoletina, dont le nom reste attaché à Manolete, même si Victoriano de la Serna avait antérieurement introduit ce type de passe dans le toreo serio.
Tout d’abord la manoletina n’est pas, comme on le croit trop souvent, une simple passe d’ornement. Exécutée le plus souvent en fin de faena et en série de plusieurs suertes, elle a aussi une fonction « technique », celle d’alléger le taureau plutôt que de continuer à le contraindre, éventuellement de lui faire lever la tête, si cela s’avère indispensable pour l’estocade. Elle peut d’ailleurs être rapprochée de plusieurs passes fondamentales, comme le derechazo ou la passe de poitrine. La différence, c’est que, dans la mesure où le torero tient un pan de la muleta, la surface de celle-ci se trouve réduite, ce qui donne une passe très engagée. Il est important de souligner à cet égard que la qualité d’exécution modifie profondément le sens de cette passe. Là où de nombreux toreros l’exécutent de façon mécanique et rapide, le taureau « n’ayant pas le temps de voir ce qui lui arrive », Jose Tomas, par exemple, plutôt que de faire la passe à pieds joints, va « ouvrir compas », bien se faire voir, attendre le taureau, ce qui le conduit à exposer ventre et poitrine. Il terminera en tournant lentement sur lui-même. Et cela donnera à cette passe toute sa valeur …
José Luis Ramón s’attache ensuite à décrire, analyser et présenter, muleta en main, plusieurs variantes, de la famille de la « manoletina » : la « mondeñina » (de Juan Garcia « Mondeño », manoletina exécutée de profil), « la bernadina » (de Joaquin Bernado), « l’ortina » (de Miguel Ortas), la « manoletina contraria » (de Julio Aparicio père), « la madrileña » (de Marcial Lalanda, passe de début de faena proche du doblón), « la nimeña » de Juan Bautista exécutée sans ayuda, et encore…la toute récente « rodregueña » ou « el pase de la flores » qui, en fait, n ‘est pas une « manoletina » et bien d’autres encore.
Mais en cette matière rien de remplace la vision directe et il est toujours utile de se reporter aux ouvrages dont le Todas la suertes por sus maestros écrit justement par José Luis Ramón et dont existe une version française