
Jean-François Nevière devant la carte du Mexique © Jean Lalanne
Le Club a eu le plaisir de recevoir Jean-François Nevière, grand aficionado, spécialiste du Mexique et responsable de la revue Mexico Aztecas y toros, venu apporter de précieux repères nourris de sa propre expérience sur les traditions et chemins de la tauromachie mexicaine.
Il était naturel de commencer l’exposé par des rappels historiques : l’arrivée de Cortes en 1519, sa fondation de Vera Cruz, l’arrivée des chevaux et des toros espagnols, la conquête de Tlaxcala et de Tenochtitlan (la future Mexico).
Conjointement, la tauromachie naissante s’imposa au Mexique à peu près simultanément à l’Espagne, la précédant presque puisque la première ganaderia de toro bravo au monde est Atenco, fondée officiellement en 1552 et que le premier spectacle taurin connu remonte au 13 août 1529… A l’origine, c’étaient les congrégations religieuses qui entretenaient les troupeaux de taureaux et elles ont toujours eu l’appui des indiens. Les Espagnols ayant, dès l’origine, associé les Mexicains au développement de la tauromachie, celui-ci s’y est toujours fait en parfaite harmonie.

Des aficionadas présentent à la soirée © Jean Lalanne
Au fil des siècles, l’histoire de la tauromachie se développera parallèlement sur les deux rives de l’Atlantique.
Les camadas de toros sont progressivement installées dans toute cette large bande de territoire plus grande que la France, qui va de la côte pacifique à la côte atlantique, d’Ouest en Est et, pour la largeur de ces terres taurines, de Zacatecas et San Luis Potosi à l’Etat de Mexico. Les ranchos (haciendas), détenus par de très riches propriétaires, sont immenses : de 4.000 à 17.000 ha. Les toros y vivent en quasi liberté, sans autres clôtures que les barrières naturelles.

En attendant Jean-François Nevière © Marie-Luce Baccellieri
La corrida se pratique dans 28 états sur les 31 que compte le Mexique moderne, 256 éleveurs de bétail brave sont inscrits à l’Union des ganaderos ou « criadores de toros de lidia». L’implantation est assez concentrée (199 éleveurs dans 9 états). Les éleveurs recherchent la « pureza » c’est à dire un toro qui charge longtemps et, comme le dit Rodolfo Rodriguez El Pana, « un toro créé pour le torero».
Les toros bravos mexicains sont en majorité d’origine génétique Saltillo / San Mateo; les essais d’implantation de Parladé (Domecq) ont globalement échoué.
L’état de Tlaxcala est particulièrement important tant par ses nombreux élevages dont celui de Piedras Negras, les Miura mexicains, que par ses toreros : de grands « coletas » comme El Pana, Sergio Flores, Jose Luis Angelino Arriaga … viennent de cette région. De nombreuses anecdotes sont évoquées notamment à propos de Rodolfo Rodriguez El Pana, seul torero mexicain vivant à avoir sa statue devant des arènes qui portent son nom et qui, n’ayant pas peur de la mort, (« cuando te toca, te toca » !) a fait des choses que personne d’autre n’avait faites avant lui (par exemple, attendre le toro « a porta gayola » dos au toril).

Rodolfo Rodriguez dit « El Pana » qui vient de mourir des suites d’une cojida reçue le 7 mai 2016 dans les arènes de Ciudad Lerdo © DR
De grands matadors espagnols ont tissé des liens très forts avec le public mexicain, et pas seulement des liens économiques : El Juli, Castella, Morante, José Tomas (qui a une propriété à Querétaro et qui est très ami de Fernando Ochoa, torero récemment retiré)…
L’enracinement et l’ancienneté de l’art taurin dans cet immense pays qu’est le Mexique (4 fois la superficie de la France) sont remarquables et l’aficion s’est développée dans toutes les classes de la société ; Les échanges de toreros d’un continent à l’autre se firent à partir de 1800, avec des règles quantitatives qui furent l’occasion de querelles pouvant aller jusqu’à une sorte de comportement « raciste » tantôt à l’égard des mexicains en Espagne tantôt envers les espagnols au Mexique.
Une description de la plus grande arène du monde, la Monumental de Mexico (45 000 places pouvant aller jusqu’à 52 000 pour les grands jours) permit de sentir l’ambiance surchauffée des jours de grands cartels, comme ce fut le cas le 31 janvier de cette année lors du mano a mano Jose Tomas / Joselito Adame. Lorsque le public applaudit et crie de plaisir, c’est tout simplement impressionnant. Il y a quelques années, El Pana en a pleuré d’émotion lors de son succès.
Quelques différences dans le règlement taurin ont aussi été évoquées, par exemple le premier avis ne compte qu’à partir du moment où le torero plante l’épée.

Une vue de la salle © Marie-Luce Baccellieri
Puis Jean-François Nevière choisit de retracer la vie et la carrière de quelques très grandes figuras mexicaines, parmi lesquelles Ponciano Diaz adoré pour ses naturelles et … ses grandes moustaches, Vicente Segura, très grand estoqueador et si riche propriétaire minier qu’il toréait pour le plaisir et la gloire et distribuait ses émoluments aux pauvres, Rodolfo Gaona, partenaire de José et Juan et exceptionnel banderillero, Luis Freg « El valor » blessé 72 fois et habitué à l’extrême onction, Juan Silveti le père de la géneration Silveti , Lorenzo Garza Espinosa « Armillita », l’ancêtre de la dynastie qui fut un des toreros les plus complets, pouvant toréer n’importe quel type de toro au point d’en paraître froid, Manolo Martinez, Carlos Arruza, Silverio Perez le roi du trincherazo et, pour finir sur les toreros actuellement en exercice tels Garibay, El Payo, Joselito Adame maestro fidèle, constant, serein, grand ami de Jean-François Nevière et parrain de l’Association « Mexico Aztecas y Toros » que préside le conférencier, le tout conduisant à une conclusion sur l’avenir de la corrida au Mexique, la nature et les qualités des toros qui y sont combattus, puis l’organisation de grands groupes tels la Fusion ( FIT) d’impresarios aux moyens colossaux qui attirent beaucoup de maestros, y compris espagnols , Espactaculos Taurinos de Mexico et d’autres encore …
La tauromachie au Mexique a un bel avenir : Elle s’appuie sur une aficion, plus libre qu’en Espagne, très décomplexée et sur des supports qui ont de grands moyens et qui font beaucoup pour préserver et sauver la tauromachie. Le public mexicain peut donner l’impression qu’il ne connait pas grand-chose, mais il s’enthousiasme et hurle de joie dès qu’il y a une belle passe.
Après ce riche exposé, le président et le public posèrent de nombreuses questions, auxquelles le conférencier se fit le plaisir de répondre