
Le Maestro Ginés Marin au Club taurin de Paris. A ses côtés José Cutiño, son apoderado, et Thierry Vignal © MLBAC
En novembre 2014, le Club taurin de Paris avait reçu José Cutiño qui avait fait part de sa vision de la tauromachie, de son organisation, et de son développement ; il avait également attiré notre attention sur un jeune novillero très prometteur, qui avait débuté en corrida piquée en mars 2014 et venait de remporter le Zapato de oro d’Arnedo en septembre ; il pressentait qu’il allait devenir une figura.
Un an après son alternative à Nîmes, Ginés Marin est le torero révélation de la temporada 2017 et pour le Club c’est un plaisir de le recevoir.
Le 25 mai, Ginés Marin a été le seul de toute la San Isidro 2017 à couper les deux oreilles d’un même toro, il a été consacré triomphateur de la San Isidro et auteur de la meilleure faena. Beaucoup d’autres triomphes ont suivi au cours de la temporada : Pamplona, Santander, Dax, Saragosse…
Pourquoi Ginés Marin a-t-il choisi d’être torero ?
Né en Andalousie, il s’est formé et vit en Extremadura, région riche en ganaderias. Son éducation taurine lui est venue de son père, devenu picador, qui l’a tenu proche du campo, des toros, tout en le gardant éloigné de la corrida, car il ne voulait pas qu’il devienne torero ; Ginés a su le convaincre.
Quels furent les moments importants de son étape de novillero ?
Après une formation à l’école taurine de Badajoz et des succès nombreux dans les bolsins et concours de becerradas, il a débuté en piquée à Olivenza en mars 2014 avec grand succès. Puis il s’est séparé de son apoderado ce qui a provoqué un temps d’arrêt dans sa carrière. Les succès de fin de saison (Arnedo et Saragosse) l’ont relancé et, avec l’appui de José Cutiño, les portes se sont ouvertes.
En 2015, Ginés a toréé dans presque toutes les férias d’Espagne, de France et même du Mexique, ce fût une saison rêvée. Après cette saison, l’alternative se profilait ; torero et apoderado ont choisi la date et le lieu : Pentecôte à Nîmes ce qui lui a permis de faire au préalable sa présentation en tant que novillero à Madrid lors de la San Isidro 2016, mais celle-ci ne s’est pas passée exactement comme souhaitée.
Comment se fait le choix de la présentation à Madrid ?
Selon José Cutiño, après les succès en tant que novillero, il était indispensable de se présenter à Madrid avant l’alternative ; cela ne s’est pas bien passé. Dans la vie de tout torero, il y a des hauts et des bas ; ce qui différencie les toreros, c’est leur capacité à surmonter les étapes difficiles. Les toreros doivent être des personnes normales dans les succès et fortes dans les échecs.
Combien de contrats après l’alternative ?
Les premiers temps se sont avérés difficiles : obtenir des contrats, puis ouvrir la porte des grandes ferias ; Ginés avait quinze contrats signés lors de l’alternative.
Quels ont été les grands moments de cette saison 2017 ?
Les triomphes d’Olivenza et de Valencia ont marqué le début de la saison. Séville, abordé avec beaucoup d’espoir, ne s’est pas déroulé comme escompté. C’est une arène qui pèse beaucoup. Ginés a compris qu’entre Séville et Madrid, il disposait d’un mois pour se mettre intensément au travail et rectifier le tir, ce qui lui a permis d’aborder Madrid avec l’esprit tranquille.
Pour Ginés, l’après-midi du 25 mai a été un après-midi rêvé et deux jours après, la course du 27, même si elle n’a pas été un succès compte tenu de la difficulté des toros et de l’épée, a été malgré tout positive.
Au cours de ces journées, José Cutiño a partagé les mêmes émotions que le torero, à la réserve près qu’il n’était pas face au toro. Le 25, avec 32 passes, Ginés a été au summum de ce qu’on pouvait espérer. Ce fût un grand moment, très émouvant. Le 27, la faena était calme, reposée, naturelle : même si Ginés a touché l’os à l’épée, cela n’efface en rien l’importance de la faena. Pour Cutiño, en tant qu’aficionado et apoderado, avoir pu contribuer à la naissance d’un torero aussi important, est quelque chose de formidable.
Quels souvenirs de la « corrida de la Culture » du 17 juin ?
Pour Ginés, sa faena de la « corrida de la Culture » fût plus reposée et aussi importante que celle du 25, qui était vibrante et émouvante, même s’il a échoué à tuer vite et bien, cette faena lui a permis de montrer tant au public madrilène qu’à lui-même, ce qu’il voulait faire et qu’il était capable de réaliser avec des toros très différents.
Après Madrid, quelles dates importantes ?
Difficile pour Ginés de les citer toutes ; les plus importantes sont à ses yeux les journées de Pampelune, Santander, Badajoz, Bilbao (même s’il n’est pas sorti par la grande porte), Salamanque, Saragosse et, en France, Dax, Nîmes… au total, sa première temporada complète en tant que matador a été une saison inoubliable.
Quels élevages ont le plus marqué et quel toro ?
Ceux qui ont le plus marqué l’afición : « Barberillo » d’Alcurrucen à Madrid le 25 mai, « Sin Vaina« , le Nuñez del Cuvillo de la corrida de la Culture, « Forajido« , le toro de Victoriano del Rio de Pampelune, face auquel, même s’il ne lui a pas coupé d’oreilles, il estime lui avoir déroulé une de ses meilleures faenas de la saison.
Quelle est sa conception du toreo ?
Question fréquente à laquelle Ginés n’aime pas répondre, car il n’aime pas classer les toreros par catégorie (torero de courage, d’art.…). Il préfère laisser à l’aficionado le soin d’apprécier son toreo, d’en tirer profit et de la qualifier.
Quel tercio préfère Ginés, cape ou muleta ?
La faena de muleta est fondamentale pour couper les oreilles. C’est elle qui assure les triomphes. Tout en ne se considérant pas être le meilleur capotero, Ginés travaille beaucoup ce tercio tant à la véronique que dans la variété des quites. C’est la variété du toreo dans ses différentes phases qui fait la richesse de la tauromachie.
A la muleta, Ginés a plus de plaisir à toréer de la main gauche qui est la position naturelle. Avec la main gauche, il se sent plus à l’aise pour s’exprimer, sans avoir recours à l’épée, et de surcroit c’est plus beau !
Comment apprécie-t-il le toreo de proximité, dans les cornes ?
Novillero, Ginés pratiquait presque toujours ce type de toreo d’émotion à la pointe des cornes en fin de faena. Aujourd’hui, en tant que torero plus mûr, il le fait beaucoup moins. « La nécessité oblige », le novillero pensait que, pour obtenir le triomphe, il lui fallait toréer le plus longtemps possible et terminer à la pointe des cornes.
Aujourd’hui, il considère que lorsque tout fonctionne bien et quand il torée lentement, le triomphe arrive quand il doit arriver !
Et l’épée ?
Ginés Marin pense que sa saison a été marquée par une grande régularité à la mort et estime avoir tué comme il le souhaitait, même s’il lui est arrivé parfois de pincher. Il ne se rappelle pas de toutes ses estocades mais se souvient particulièrement de deux grandes, celle portée à Saragosse (qui fut primée comme la meilleure la feria du Pilar) et celle de Santander.
L’avant et l’après corrida
Ginés Marin n’aime pas rester seul dans la chambre avant la corrida : c’est un moment qui se vit mal avec la peur qui tenaille. Il préfère se distraire en faisant autre chose (faire des courses, se promener …). Dans la chambre, il accepte peu de monde, José Cutiño et son fils.
Après la course, et en fonction de son déroulement, Ginés aime dîner avec José et analyser avec lui le déroulement de la course. José essaye de l’aider à approfondir son toreo, et lui fait des suggestions pour lui permettre de progresser.
Qualités et défauts de Ginés, torero, pour José Cutiño ; qualités et défauts de José Cutiño, apoderado, pour Ginés?
José Cutiño ne voit en Ginés que très peu de défauts mais beaucoup de qualités qui lui permettront de devenir le torero qu’il voudra être : figura s’il le veut, ou torero normal si telle est sa volonté. Dès le premier jour, quand Ginés a demandé à José Cutiño de l’apodérer, Cutiño s’est montré très attentif à Ginés et ceci 24h sur 24. José Cutiño cherche toujours ce qui peut être bon pour Ginés et réciproquement. La plus grande joie de Ginés est de voir son apoderado heureux quand il a fait une bonne course.
Quels objectifs pour 2018 ?
Ginés veut continuer à progresser pour devenir une « figura« . Il a déjà beaucoup obtenu mais il pense qu’il doit continuer à beaucoup travailler pour s’améliorer, avec une attention particulière portée à Séville qui ne l’a pas encore vu dans ce qu’il sait donner de meilleur.
Que son père soit picador dans sa cuadrilla lui pose-t-il un problème ?
Que son père soit dans sa cuadrilla, donc sous ses ordres, est certes une situation particulière. Il le commande et remarque que son père l’écoute ; cela se passe globalement bien, chacun regardant l’autre agir, non sans une certaine émotion. Après le deuxième toro de Saragosse – où la pique a été prolongée – il n’y a pas eu d’altercations entre Ginés et son père car en réalité, le toro n’a pas été trop piqué même si, ultérieurement il lui a manqué de forces pour tenir jusqu’au bout.
Comment perçoit-il la despedida de Morante ?
Morante – qui a été son parrain d’alternative – est un torero génial ; ce fût toujours un grand plaisir de toréer en sa présence ; Ginés a été très triste d’apprendre sa despedida, car la fiesta a besoin d’un torero comme Morante.
Comment a-t-il constitué sa cuadrilla ?
Constituer une bonne cuadrilla n’est pas chose facile ; il a réussi à le faire, pour sa seconde année d’alternative ; sa cuadrilla lui apporte beaucoup. Quand il triomphe, c’est aussi son succès car, sans son action, il n’aurait pas atteint un tel résultat.
Quel est le torero de l’histoire qui le marque le plus ?
Incontestablement « Manolete » ; Ginés se plait à étudier tant son toreo que sa vie et à mieux comprendre sa personnalité.
Quelle est son encaste préféré ?
Le toro de l’encaste Domecq est celui qui lui permet de s’approcher au mieux du toreo qu’il veut faire. Ceci ne l’empêche pas d’apprécier également les encastes Santa Coloma et Saltillo qu’il torée certes bien moins souvent. Leurs toros ont une forte personnalité ; quand ils sont bons, ils chargent avec grande classe et peuvent être exceptionnels, mais quand ils sont mauvais, les toreros vivent alors un très mauvais moment.
Quelles relations entretient-il avec ses confrères ?
En dehors de son amitié avec Talavante, Ginés n’a pas de relation particulière avec ses confrères d’autant plus qu’il est d’un naturel très indépendant. Sa principale concurrence n’est pas avec les autres toreros mais avec lui-même.
Pourquoi tant des toreros notables sont originaires d’Extremadura ?
On assiste à un âge d’or de la tauromachie en Extremadura : Talavante, Perera, Ferrera, Garrido et… Ginés Marin ; il n’y a pas de raison particulière si ce n’est que l’Extremadura est une région très taurine, fournie en élevages et en foyer d’aficion et donc qui offre nombre de possibilités de toréer.
Quelles sont les passions de Ginés Marin, autres que le toreo ?
Sa vie tourne tout autour des taureaux ; en dehors du campo, de la nature et des animaux, Ginés reconnait ne pas avoir de passion particulière.
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