Lundi 29 janvier, le Club Taurin de Paris recevait Marc Thorel et Araceli Guillaume-Alonso pour la présentation de leur traduction de la « Lettre de Moratin » publiée par l’Union des Bibliophiles Taurins de France, représentée par leur Président Philippe Degraeve.
Assistance conséquente pour cette conférence très « dans le type » historique de notre Club, avec plus d’une quarantaine de personnes venues écouter Araceli et Marc autour de leur travail de traduction et les intérêts présentés par ce texte de 1777. Il était temps!
Araceli a ouvert les hostilités en témoignant du mérite revenant à Marc Thorel de s’attaquer à une langue aussi difficile que celle du 18è siècle espagnol, mérite ô combien nécessaire pour qui veut comprendre la tauromachie dans son évolution car le texte livre un instantané de la corrida dans un moment crucial de son existence entre formalisation de la liturgie taurine, oppositions diverses et controverses, en particulier dans les milieux intellectuels de l’époque.
Trois aspects retiennent particulièrement l’attention de notre amie:
La renommée du texte, très cité pour ses aspects extravagants, souvent utilisé pour des qualités historiques à remettre en question – il est une œuvre littéraire plutôt qu’une relation de faits à proprement parlés- et indéniablement servi par les gravures de Goya qui l’illustrent (les 12 premières des 33 constituant la série).
La question discutable de l’influence des Maures et Musulmans d’Espagne dans le développement des jeux taurins que l’on trouve dans le texte ne semble guère résister à l’examen des documents historiques des différentes cours des royaumes musulmans d’Espagne qui ne font guère mention de la chose.
Enfin, l’expression « progresos » dans le titre détaillé de l’ouvrage amène l’idée que l’humanité est en progrès. C’est selon l’auteur le cas également pour la corrida qui avance avec cette perspective de la nécessité de continuer à progresser et évoluer. Homme des Lumières, Moratin, défendait la tauromachie au cours de tertulias mêlant pro et anti-taurins de l’époque.
Marc Thorel, armé d’une présentation en images et d’un vidéoprojecteur, a eu le « detalle » d’entamer son propos par une photo du Club Taurin de Paris lors d’un voyage en Espagne en 1951… remercia chaleureusement Araceli pour son éloge et exprima son plaisir étonné d’être à l’affiche d’une soirée dont le thème ne trouve pas souvent écho dans le monde de l’afición. Qu’il me soit permis ici de dire que le plaisir fut le nôtre à écouter sa conférence.
D’où provient ce document? D’un honnête homme du 18e siècle, le Prince de Pignatelly, désireux de « savoir de toros » et demandant pour ce faire à Nicolas Fernandez de Moratin d’écrire un livre sur la tauromachie et son histoire, thèmes négligés à l’époque sur lesquels il peine à rassembler quelque matériau.
S’ensuivit une présentation détaillée et illustrée de différents aspects réels ou supposés de la tauromachie de l’époque dont l’évolution vers une fête formelle reste encore au 18e siècle à la fois chaotique non linéaire. Si les documents, notamment les gravures de Goya, montrent des mythes tels que le Cid chassant le toro, ces illustrations sont déjà anachroniques à l’époque et la noblesse a d’ores et déjà délaissé ces pratiques de chasse au profit de leur peonage à pied ou de spectacles formels très codifiés tels ceux donnés lors de rares fêtes royales sur la Plaza Mayor.
C’est l’époque où les toros livrés à la foule, armée de demi-lunes ou aux chiens, constituent un spectacle en voie de disparition. Si le toreo à cheval donne lieu à de nombreux traités, la pratique piétonne se codifie également avec l’apparition de suertes codifiées, recortes ou passe de cape. Si beaucoup d’excentricités ont cours, le siècle de la raison voit néanmoins l’apparition d’un combat plus structuré où l’on affronte désormais le toro face à face.
La formalisation de l’art taurin « piéton » doit beaucoup à Joaquim Rodriguez « Costillares » amenant plus d’harmonie dans les passes, la possible invention du Volapie et de la Véronique, à Pedro Romero, torero dominateur s’il en est, illustre membre de l’école de Ronda, et Pepe Hillo, connu pour ses « génialités », facéties et dont on devine un aspect plus pueblerino que ses deux compagnons.
Toujours abondamment illustré, le propos de Marc entraîna la soirée autour de thèmes tels que l’origine et l’évolution du bétail, notamment des ordres ecclésiastiques, la construction des premières arènes, le rôle du picador, ses émoluments, sa perte d’importance au profit du matador, ou encore le thème de la galanterie dans le monde taurin.
Questions pointues et débats précis ponctuèrent la soirée avant le traditionnel buffet Libanais. Merci à Araceli et Marc pour leur présence!
Texte Frédéric Bartholin Photos Jean Yves Bloin membres du Club Taurin de Paris