Jean-Marie Magnan a écrit « la corrida est une mémoire ». En effet les aficionados aiment se remémorer les grands moments qu’ils ont vécu : telle faena, tel grand toro, telle « rencontre » entre un toreo et un toro…
Nul n’était plus légitime que notre Président d’honneur, Jean-Pierre Hédoin, grand aficionado pourvu d’une mémoire prodigieuse, pour évoquer ce sujet.

Francis Wolff rappelle qu’il a vu environ 1800 corridas dont la moitié vécue à côté de Jean-Pierre Hédoin. Il garde trois souvenirs en mémoire :
San Sebastian : il y a vu la plus grande faena de Curro Romero. Une vingtaine de passe à un toro de Perez Tabernero.
Madrid, San Isidro, toros de Juan Pedro ; corrida la plus courte de sa vie ; durée une heure 20. Les 6 toros étaient par terre.
Bayonne, 1975, le modeste Salvator Cortes fait la faena de sa vie.
Il donne la parole à Jean-Pierre Hédoin pour « Les souvenirs de nos 20 ans ».
Quels souvenirs taurins peut-on avoir ?
Il y a le souvenir de la première course. Jean-Pierre a vu sa première à 10 ans dans le sud (Bayonne). Au cartel, Luis Miguel Dominguin qui reprenait l’épée, Bienvenida et Antoñete. Il conserve en mémoire le desplante classique de L.M à genoux, de dos, souriant à la foule. Grand bonheur, car il retrouve les images vues dans le magazine du groupe l’Equipe où Paco Tolosa publiait quelques articles. Impressionné aussi par une mise en suerte de Bienvenida.
Le second souvenir, c’est la première corrida complète (redonda) : celle où tout se passe au mieux : bétail et toreros. Exemple la corrida « dite du siècle » de Victorino à Madrid en 1982 (que Jean-Pierre n’a pas vu en réalité, seulement à la télévision).
Sa 1ère corrida complète eut lieu à San Sebastian. Une corrida d’Atanasio Fernandez pour Diego Puerta, Paco Camino et El Viti. Ce fut une corrida triomphale qui eut lieu le 16 aout 1963.
Puerta, toreo allègre, engagé, est vêtu de Nazareno y oro, Paco Camino puissant dominateur est en saumon et or, El Viti, classique et templé, en blanc et or. Si les souvenirs des costumes sont précis, il n’a gardé aucun souvenir du comportement des toros.
Vient le souvenir de la corrida historique ; celle qui, au-delà de la mémoire individuelle, fait partie de la mémoire collective de l’aficion. En juillet 1964, à Valencia, pour El Cordobés (Manuel Benitez) qui est dans sa grande année, c’est un triomphe absolu qui relevait de l’irrationnel.
Souvenir de « Grande surprise », soit un succès inattendu ou sans lendemain : ce fut en 76, à Bayonne, Cortes fait la faena de sa vie. Ou encore à Malaga en 1995, lors d’une corrida nocturne en mano a mano Manuel Diaz Cordobes et Javier Conde. Un toro de Jandilla pour Conde. Una tarde de toreo soñado. Création comme dans un rêve.
Souvenir d’une corrida de démesure extrême pour la sauvagerie des toros, l’engagement des toreros hommes, et le dérèglement de la météo à Dax 1965 : Atanasio pour Fermin Murillo, Cordobes et Amador. Orage pluie. Tous blessés. Plus de matadors en piste.
Les corridas où l’on est touché par ce que l’on n’a jamais vu : Ojeda en 1983 à Nîmes
Dans tout souvenir on accumule les éléments de singularité (date, lieu, compagnons, anecdotes) et on accorde à cette singularité une valeur générale. Le salut de cape qui, à vos yeux, représente l’essence du salut de cape, l’estocade qui vous apparaît comme l’essence de l’estocade, etc.
Estocade en 78 par El Viti survenue au terme d’une faena. Une naturelle, une passe de poitrine, et, sans pause ni rupture, toro cadré le coup d’épée est porté. El Viti toréait avec l’épée de vérité. Bref, l’estocade au moment juste. Plus récemment Emilio de Justo à Madrid devant un Puerto de San Lorenzo. Perfection du coup d’épée. Estocade décomposée à la perfection, la main gauche guidant la tête parfaitement. Un cas d’école.
Paire de banderilles, des souvenir de poses simples.

Plus grande faena de muleta, deux souvenirs
Faena de Curro Romero en 1973 à San Sébastian. Jean-Pierre était avec un ami qui voyait une course pour la première fois. En sortant, ce néophyte se souvenait de cette faena et ne parlait que d’elle. Ce qui était marquant était le caractère étroit du leurre, une muleta rétrécie. Faena composée essentiellement de naturelles.
Le second : Paquirri en 1979 à Madrid face à un Torrestrella, Buenasuerte, une grande faena de poder a poder qui reste dans l’histoire.
Pour raviver les souvenirs, on s’appuie sur des photos, des textes et des éléments de la mémoire.
L’assistance propose des noms, pour susciter les souvenirs marquants de l’intervenant à propos de tel ou tel torero.
Enrique Ponce
Août 1999 à Bilbao : un Victorino encasté et exigeant (Cucareño) une vraie faena de domination, suivie hélas d’une catastrophe à l’estocade.
Avril 2006 : Séville 2 toros de Zalduendo, difficiles et exigeants, il a imposé sa tauromachie aux deux. Premier prix de la rencontre du Club pour le second, Lazarillo.
Rafael de Paula
Séville 1974, en vert olive et noir, souvenir de cape.
Madrid 74, jour de sa confirmation en gris et or. Il a fait un quite magnifique, pas plus.
Joselito (Arroyo) : faena à Santander face à un Torrestrella, très construite. Une estocade à Séville.
Jose-Maria Manzanares
Une faena parfaite en 76 à Bilbao à un toro de Buendia. La norme à Bilbao est de ne pas lancer la musique avant que le torero n’ait pris la gauche ; et là le président a déclenché la musique. A Dax, en 1989, toro de Maria Luisa Perez de Vargas Bigotudo ; faena courte mais dense, lenteur, précision et justesse réunies.
Paco Ureña
Madrid 2015, face à un toro d’Adolfo Martin. Très engagé.
Bilbao : 4 oreilles en 2019 devant un Jandilla.
Paco Ojeda
À Nîmes, découverte au printemps 1983 d’une tauromachie révolutionnaire. Choc de la surprise. Une tauromachie réellement différente
Jose Tomas
En avril 2000 à Saragosse : il est pris deux fois et blessé à deux reprises et continue, héroïsme hors norme. Une tauromachie qui offre son corps dans le toreo.
Au Puerto, encore en 2000 avec un vent épouvantable. Il a templé les toros et le vent au centre de l’arène.
Antoñete
Il supportait la charge de loin ; caractère dépouillé de son toreo
Bienvenida
Distance et mobilité
Juli
Sa blessure au visage à Bilbao en 2001 toute la volonté et la caste du jeune torero et en 2010 à Séville, maestro à ses deux toros pour sa 1ère Porte du Prince effective

Les toros
C’est la partie la plus difficile car il existe une très grande variété de dimensions dans le jeu et le comportement des toros, les plus spectaculaires, les plus complets, les plus émouvants., les plus sauvages (fiero), les plus propices au toreo (fijo)
La première difficulté est liée à tous les paramètres nécessaires à la connaissance du toro.
La seconde : jeune aficionado, on s’intéresse aux passes, on s’intéresse peu aux toros. Peu à peu, l’aficionado évolue dans sa lecture des courses.
Apprendre à lire un toro. Sont évoqués quelques toros qui entre 65 et 75 ont constitué des jalons et repères dans la lecture du jeu des toros
Nîmes en 1965, un Atanasio Fernandez lui a fait comprendre ce que voulait dire « mettre les reins. »
Bilbao 1971, un toro qui fait mieux saisir la signification de l’expression « faire l’avion »
Valencia 1965 un Juan Pedro Domecq lui a fait comprendre la notion de toro à l’attaque. Si un toro est brave, il l’est dans les 3 tiers.
En 1974, Séville, Abrileño de Torrestrella pour Diego Puerta. Toro complet, alegria dans le galop et dans l’attaque.
Un Miura Dax à la même époque. Toro à la puissance et agressivité incarnées.
Plus récemment à Colmenar Viejo en 2021, le toro Finito de Zacarias Moreno, une bête constamment à l’attaque. Il partait sur toutes les cibles. Très bien toréé par Urdiales.
Faire ce travail autour de ses souvenirs, cela vous apprend beaucoup sur votre cheminement d’aficionado. On n’est pas dans la vérité, mais dans un retour sur la construction de son aficion.
Le souvenir taurin est extrêmement, changeant, fragile, subjectif.
Le dialogue entre la mémoire collective et le souvenir de l’aficionado est nécessaire. Lire, participer à des colloques pour confronter ses souvenirs.
Quelle est sa dernière grande émotion récente ?
Il y en a trois et elles sont à Séville.
Romero coupe 2 oreilles en 99, en 2016, Manuel Escribano fait gracier un toro de Victorino Martin, et, le 10 mai 2019, Pablo Aguado fait toréer Séville dans la rue et réveille Morante.
C’est une forme de bonheur. A l’inverse, on peut aussi avoir un sentiment de grande solitude par exemple, quand on ressent un fossé entre son impression et les réactions de la majorité du public.
Mais une chose est sûre, le cœur de Jean-Pierre est à Séville.
Ci-dessous le lien qui vous permettra d’écouter ou de réécouter l’intervention de Jean-Pierre Hédoin avec la complicité de Thierry Vignal et Francis Wolff.