14 décembre 2011
Présider une corrida est une lourde responsabilité : il faut être à la fois bon aficionado et garant de l’ordre public, ferme dans ses décisions et discret dans leur application, équitable et mesuré, respectueux de la lettre du règlement mais imprégné de son esprit, soucieux de la présentation des taureaux comme de l’intégrité physique des toreros, connaisseur des traditions locales et attentif aux demandes du public mais vigilant sur l’intérêt des aficionados
et défenseur de la pureté de la corrida. Présider une corrida est toujours difficile mais présider une arène de toute première catégorie est un vrai défi, tant les pressions diverses (toreros, éleveurs, apoderados, empresa, autorités politiques, etc.) sont puissantes.
Présider la prestigieuse et traditionaliste arène de Séville, surtout lorsqu’on est une femme, relève donc de la gageure. C’est celle que relève depuis six saisons Anabel Moreno, devenue depuis l’an dernier « première présidente » de cette plaza.
Nous sommes heureux et fiers de recevoir
Anabel Moreno
première présidente des arènes de Séville,
venue spécialement à Paris pour une rencontre dans notre Club qui portera sur
La journée d’un président d’arènes de première catégorie
et
Une femme dans le monde taurin sévillan
Le compte-rendu de Philippe Paschel
Francis Wolff rappela qu’il avait rencontré Anabel MORENO à l’issue d’une corrida de Séville (3 avril 2008), alors qu’une de ses décisions avait provoqué une bronca. Elle avait refusé de donné une deuxième oreille à la faena d’adieu d’un Pepín Liria héroïque, mais qui ne la méritait pas. Il lui avait alors assuré que “Tout Paris la soutenait”.
La présidence est une équipe de 8 personnes : trois vétérinaires, trois délégués qui prennent place dans le callejón, un assesseur taurin et un président. L’assesseur artistique est Finito de Triana (http://portaltaurino.com/matadores/finito_triana.htm).
Toute la visibilité de l’ensemble se concentre sur la personne qui sort le mouchoir.
Les présidents sont désignés par l’autorité institutionnelle, c’est-à-dire la “Junta de Andalucia” parmi les aficionados de prestige.
Une journée de présidence commence trois mois avant la corrida, une fois le programme connu, les présidences sont alors distribuées par ancienneté.
Il y a d’abord la visite des taureaux dans l’élevage. C’est une nouveauté du règlement andalou et un cadeau pour l’équipe. On y procède à l’identification (señalamiento) de la douzaine de taureaux qui ont été choisis. Cette phase n’entraîne pas de conséquence impérative, sauf pour les taureaux refusés.
L’examen des taureaux (reconocimiento) a lieu 24 heures avant la course. Séville n’a pas de véritable corral, c’est une pièce de 120 m2 en béton dont le sol est recouvert de sable et l’on y voit mal les taureaux. Sont présents l’éleveur , les cuadrilles, les représentants des matadors, l’organisateur et les vétérinaires. Il y a 9 à 12 taureaux, leur nombre dépend du camion de transport. Il faut examiner leurs présences, leurs morphologies, leurs apparence combatives (trapío) et l’homogénéité de l’ensemble.
On rejette le plus grand et le plus petit. Puis on passe dans une petite pièce contiguë où l’on prend connaissance des poids et commencent les négociations : il y a des problèmes avec les cuadrilles, qui veulent les plus commodes, l’éleveur qui prétend que le taureau refusé est celui qui provient de la meilleure famille.
Les représentants des matadors soulèvent aussi des objections. Le plus discutailleur est Curro Vásquez -on a d’ailleurs inventé le verbe currovazquear- et il a deux toréros sévillans : Morante de la Puebla et Cayetano Ordóñez !
Après, amis ou ennemis, on va boire une bière.
Le jour de la corrida, on choisit les taureaux de remplacement. À Séville, il y a trois taureaux, voire plus, pris dans des élevages qui sont dans la ligne de celui est à l’affiche, comme Conde de la Maza pour Miura ou Victorino Martín.
Il y a un deuxième examen des taureaux, pour vérifier qu’il n’y a pas eu d’incidents pendant la nuit, et on procède au tirage au sort, à midi : numéros de chaque lot écrits sur des feuilles de papier à cigarette roulées en boulettes et placées dans un chapeau, puis extraites dans l’ordre d’alternative décroissant. Les cuadrilles annoncent l’ordre de sortie de chaque animal et l’on rédige le document officiel.
Elle arrive une heure avant le début de la course, salue les toréros dans la chapelle.
Certains arrivent très tard, comme Talavante, qui plusieurs fois aurait mérité une amende, qu’elle n’a pas donnée.
A l’heure prévue, elle sort le mouchoir. On entend alors le bruit de la serrure de la porte des cuadrilles, l’alguacilillo fait le tour de piste, salue la présidence et retourne chercher les toréros qu’il conduit sous le balcon. Elle
lance la clé et l’alguacilillo la remet aux gardien du toril, puis retourne à la porte des cuadrilles et descend de cheval. On ferme la porte. Elle sort le mouchoir blanc. Les clarines sonnent : “Taah tariii / taah tariii / taatariii /taritariitari” (NDR).
Le trio présidentiel est lieu de discussions permanent où chacun se renvoie les remarques sur l’état du taureau. Mais c’est le président qui tranche.
Pour les suspensions en cas de pluie, il n’y a pas de règle précise. On regarde le temps qu’il fait et qu’il va faire, on prend l’avis des toréros. mais il n’y a pas de course si l’organisateur ne le veut pas.
Il faut éviter de changer le premier taureau, sinon il faudra peut-être aussi changer le deuxième, le troisième et annuler la course. Mais il lui est arrivé, alors que la saison avait été mauvaise et que l’on était à la 8ème ou 9èmecourse, de changer les deux premiers taureaux (Torrestrella), après avoir demandé à l’organisateur combien il restait de remplaçant. Comme il y en avait beaucoup, elle avait l’esprit tranquille.
Beaucoup de taureaux tombent parce que les cuadrilles les conduisent mal. Après la 2ème pique, si un taureau perd les mains, elle le renvoie, bien qu’il ait été jeté au sol par un petit mouvement de cape. Au contraire, si le toréro maintient le taureau debout, c’est qu’il pense qu’il va pouvoir en faire quelque chose, et elle le garde en piste, malgré la bronca. Cela s’est produit cette années (2011) avec un taureau du conde de la Maza pour Oliva Soto, qui a été le seul utile de l’après-midi.
Il est très difficile de comprendre le comportement du taureau. Si l’éleveur qui le connaît depuis quatre ans ne le sait pas, comment elle qui le connaît depuis 10mn pourrait-elle le savoir ?
Pour les trophées, il faut agir avec discernement, mais il n’y a pas d’appareil pour compter les mouchoirs. Le public est un protagoniste qui sait ce qu’il veut.
La décision de donner un tour de piste à un taureau est difficile, si le taureau le mérite, mais que le toréro n’a pas été bon. Aujourd’hui un taureau qui va bien à la pique n’est pas bon à la muleta. les taureaux ne sont donc pas vraiment piqués. Le taureau gracié cette année n’a pas été piqué, il est même sorti seul de la pique (Hou ! NDR). Elle aurait préféré qu’il fût tué, cela aurait permis à Manzanares de couper une queue.
On ne profite pas d’une course quand on est président, il y a trop de choses dont il faut s’occuper.
Après la course, c’est toujours une grande joie, surtout si un toréro est sorti par la Porte
du Prince. Tout le monde reste à traîner autour des arènes.
Le monde de la Maestranza est un monde masculin, pour ne pas dire machiste. Le lieutenant du frère majeur de la Maestranza (ce dernier est le roi) ne voulait pas de femme dans le callejón.!!
Sur environ 200 employés, il y a dix femmes : 6 dames-pipi, une à la chapelle, une musicienne (la fille du chef), une dans la sécurité (la fille du chef), une vétérinaire et elle-même.
“Nous y sommes et nous y resterons”.
Philippe Paschel
Nous avions reçu le 2 décembre 2005 José Antonio Soriano, directeur général des spectacles publics, jeux et activités de loisirs du Conseil de l’Assemblée régionale d’Andalousie, qui nous avait présenté le nouveau règlement d’Andalousie. Il y a eu un compte-rendu sur le site.