
Paco Camino © MLBAC
Les aficionados parisiens ne s’y étaient pas trompés et il y avait foule pour ce rendez-vous avec celui qui fut l’un des plus grands matadors du 20e siècle et l’un des acteurs majeurs de cet autre âge d’or du toreo que furent les années 60.
Dans ses quelques mots de présentation, Jean-Pierre Hédoin dit au maestro le plaisir et l’honneur qu’a le club taurin de Paris à le recevoir car, pour ceux qui ont eu la chance de le voir toréer, il est une sorte de trésor grâce à qui ils ont pu apprendre, comprendre et aimer ce qu’était le toreo et pour tous il apporte un regard original et stimulant sur la corrida actuelle.
Avec une immense modestie, beaucoup d’humour et de gentillesse, le maestro s’est livré au jeu de questions-réponses et est revenu sur les évènements marquants de sa carrière.
Né le 14 décembre 1940 dans une famille très modeste, il a vu son père travailler jusqu’à l’épuisement pour des salaires de misère. Très jeune, il a décidé de « devenir quelqu’un » pour sortir sa famille de cette misère si terrible dans les années 50. Être torero était la seule solution. Le chemin fut très difficile mais, sa constance et sa persévérance lui ont permis de progresser avec l’appui de son apoderado qui l’a suivi de ses débuts à la fin de sa carrière.
Il a commencé à courir les capeas et les tentaderos dans la région de Camas à 11 ans et, pour pouvoir s’entraîner tous les jours, l’apprenti boulanger qu’il était utilisait des sacs de farine comme capote pour toréer une ânesse à laquelle il avait appris à charger.
Paco Camino a gardé de cette époque une grande affection pour Pepe Luis Vazquez et Chicuelo père qui l’ont pris sous leur protection et lui ont permis de participer à des tentaderos. C’est ainsi que, le 5 juin 1953, il s’est retrouvé dans un tentadero avec Diego Puerta. Il sourit en se rappelant que, si Diego était déjà en traje de campo, lui, le gamin pauvre était venu toréer en culotte courte.
Appelé pour une novillada non piquée, il fait ses débuts en 1958 à Saragosse. La même année, il torée 14 novilladas non piquées et trois piquées
En 1959 il toréa deux novilladas à Barcelone où Don Pablo Chopera le vit toréer. Lors de son retour de Roquefort où il se présentait en France comme novillero, l’apoderado lui signa, à San Sebastian, un contrat de 40 corridas par an sur deux ans.

Jean-Pierre Hédouin entouré par Paco Camino et sa femme © MLBAC
Don Pablo a été pour Paco Camino un deuxième père et un excellent conseiller. Il a été un si bon apoderado que, considérant que le contrat qu’ils avaient signé lui profitait plus qu’à Paco, il prit l’initiative de le casser au bout d’un an et de le modifier en faveur de son torero.
Paco Camino a pris l’alternative le 17 avril 1960 à Valencia, des mains de Jaime Ostos avec Juan García « Mondeño » comme témoin. Cette année-là, il est allé à Pampelune, Bilbao, Bayonne, puis Lima, Quito, Bogota et au Venezuela, mais ni à Séville, ni à Madrid ni à Mexico car la convention Mexique/Espagne n’existait pas encore. 1961 fut l’année de sa 1ère oreille comme matador à Séville. En revanche, ses débuts à Madrid ne furent pas concluants. En outre il fut blessé à quatre reprises dont la très grave cornada de Bilbao. La saison 1962 fut celle de ses débuts à Mexico et c’est au Mexique où il a beaucoup toréé que le maestro s’est senti vraiment torero.
Si le toro mexicain charge plus lentement, il se souvient que le toro espagnol d’alors était beaucoup plus violent que celui d’aujourd’hui. Il chargeait avec puissance, avec l’envie de blesser. Il était bien plus mobile et changeant au cours des trois tiers, transmettait beaucoup et il ne fallait le quitter des yeux. Aujourd’hui, le toro est plus grand, assez semblable d’un élevage à l’autre et bouge beaucoup moins.
Les années 60 ont été marquées par le célèbre trio Diego Puerta / Paco Camino/ El Viti par le retour d’Antonio Ordoñez et l’arrivée d’El Cordobés en 1964. El Cordobés a été très bousculant car il toréait de très près, était très bon à la muleta, était très drôle et avait une personnalité exceptionnelle.
La concurrence entre Diego Puerta, Paco Camino et El Viti était noble. Hors de l’arène, ils étaient de grands amis mais dans la plaza, ils ne se parlaient jamais et étaient en franche concurrence.
Au début des années 60, il était très difficile de se faire une place car, au sommet, il y avait Antonio Ordoñez et Luis Miguel Dominguin avec lesquels il y avait un respect réciproque, mais aussi Antonio Bienvenida, Jaime Ostos, Mondenño, Chamaco… .

Araceli Guillaume, Paco Camino et Jean-Pierre Hédouin © MLBAC
Sans être spectaculaire, comme il se plait à le dire, la carrière de Paco Camino a été très bonne et en continuel progrès. Même s’il prétend aussi qu’il n’était ni le meilleur ni le pire et que la position qu’on lui a donnée n’est pas celle qu’il pense avoir réellement occupée, il considère qu’il a eu l’énorme chance d’avoir pu faire ce qu’il voulait.
A l’inverse de Séville où il n’a pas eu de chance, Madrid est sa plaza de référence, celle qui lui a tout donné. C’est certes une arène très difficile mais elle est très juste. À Madrid, si on fait ce qu’il faut, le public apprécie et répond et ce public appréciait son travail. Le toro y était grand et fort et présentait beaucoup de difficultés.
Un torero qui torée en solitaire comme il l’a fait à Madrid (à la Beneficiencia de 1970, où il coupe 8 oreilles à sept toros), doit faire en sorte que le public ne s’ennuie pas. Il doit donc être totalement « mentalisé » pour faire des faenas appropriées et différentes, sa tête doit bien fonctionner tout le temps, et lui en avait une qui fonctionnait particulièrement bien.
Le maestro est un maître de la chicuelina. Sa première chicuelina, il la fit en 1963 à Madrid; elle fut le fruit d’une pure improvisation lors d’une corrida avec El Viti et Jaime Ostos qui futt blessé en tuant son premier toro. Paco Camino dut le descabeller puis toréer trois toros. Le deuxième toro d’Ostos était exceptionnel. Bien que n’aimant pas quitter son toro des yeux, le maestro, pour faire quelque chose de nouveau, improvisa une chicuelina qui fit se lever les gradins.
Paco Camino fut aussi un très grand estoqueador. Interrogé sur le savoir-faire au moment où, lors de l’estocade, le torero perd le regard du toro, le maestro dévoile son secret: pour bien tuer, il faut fixer le morillo et passer la tête du toro car si on regardait les cornes, on ne tuerait jamais ! Ce sont deux violences qui se rencontrent et il est normal que, parfois, le torero reçoive un coup de corne lorsqu’il est en train de tuer. Cela fait partie du métier qui, par définition, est risqué. Mais tant d’autres métiers sont dangereux aussi !!!
A propos d’une une corrida historique à Malaga où il y eut 10 oreilles et 3 à 4 queues coupées par l’éternel trio, Paco Camino évoque la grande compétition et la vraie émulation qui existaient à ce moment-là : si le premier y allait, le second devait en faire autant et le troisième en rajouter.
A propos de la posture du torero, le maestro insiste sur le fait que celui-ci doit rester concentré durant toute la corrida, y compris avec les toros des autres diestros, être respectueux et rester attentif. Il ne comprend pas qu’aujourd’hui certains toreros puissent parler, signer des autographes ou fumer pendant que leurs confrères toréent, comme si le danger n’existait pas ! À son époque, les personnalités des toreros étaient très fortes et différentes. Aujourd’hui, il lui semble qu’elles sont plus ou moins identiques ; Il ne voit pas se détacher une quelconque agressivité entre les toreros.
Il pense que les figuras devraient accepter de toréer dans toutes les arènes importantes. Alors qu’à son époque on se battait pour aller à Madrid, les vedettes d’aujourd’hui y vont une fois par saison, quand elles y vont. Elles laissent parfois passer plusieurs saisons et le public ne leur en veut pas.
Interrogé sur la présidence de Madrid, il semble à Paco Camino que la présidence est plus facile qu’avant d’autant plus que le toro y est plus ou moins identique.
Paco Camino a eu une prédilection pour les Santa Coloma. Le toro était agressif (fiero) et intelligent. Il transmettait et répondait bien et le maestro lui répondait tout aussi bien. Pour lui c’est un toro qui se définit très vite bon ou mauvais, il va demeurer constant dans son jeu. Tout va pour le mieux si on fait au toro qu’on affronte une faena adéquate.
Il se souvient qu’autrefois les vedettes toréaient fréquemment des toros difficiles, ce qui n’est plus le cas. Mais à la question de savoir quel élevage il aimerait toréer aujourd’hui, le maestro répond, dans un éclat de rire, qu’il ferait comme les vedettes et qu’il toréerait uniquement les élevages de la même origine (Juan Pedro, Garcidrande, Victoriano del Rio…).
Le maestro n’a jamais été dans une école taurine car elles n’existaient pas. Son métier, il l’a appris sur le tas avec les adultes et les banderilleros. La meilleure des écoles a été la faim! Il reconnait que l’avantage des écoles taurines d’aujourd’hui est qu’elles assurent aussi la formation scolaire !
Contrairement à l’époque où il a débuté, il y a aujourd’hui moins de misère et moins de faim mais, pour un jeune, le toreo reste un sacrifice. Les exigences pour être torero sont énormes car il faut être constant, très au-dessus de sa profession, vivre avec le toro, rêver toro, éliminer toutes distractions, et penser toro continuellement. Les jeunes d’aujourd’hui ne veulent plus assumer autant d’efforts et se sacrifier…
Il existe cependant des jeunes de familles aisées qui sont toreros, comme Roca Rey et Lopez Simon qui se démarquent vraiment.
Sur l’avenir de la corrida, Paco Camino est plutôt optimiste. Les politiciens, qui veulent ressembler à tout le monde, pensent que le toreo fait trop espagnol et ont cette manie de s’afficher « pour ou contre » ! C’est une histoire sans fin. Il y aura des hauts et des bas mais la corrida ne peut pas s’arrêter car il n’existe pas de village en Espagne qui ne célèbre sa fête sans une corrida.
Merci beaucoup pour ces commentaires. Bien à vous. Gabrielle
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