Industriel de la boulangerie Jean-Luc Couturier a, en moins de deux ans, sauvé du naufrage ou de la disparition deux grands élevages de prestige, les « Curé de Valverde » et les Concha y Sierra. Il est venu au Club Taurin nous parler des aventures, des passions et des défis d’un jeune éleveur, provençal et torista.

Jean-Luc Couturier et Jean-Pierre Hedouin © MLBAC
Fils de boulangers du côté maternel et de charcutiers du côté paternel, Jean-Luc Couturier arrête ses études à 18 ans, en 1966, pour « entrer en boulangerie ». Après son service militaire, il entre dans un grand groupe industriel anglais, puis crée une unité de production à Orly. Il quitte le Groupe en 1981 pour reprendre une entreprise de pain industriel à Arles. En 1981, la corrida n’était pas encore sa chose, mais les Tardieu, ses clients et amis auxquels il fournissait le pain périmé qui faisait la joie de leurs taureaux, invitent Jean-Luc à visiter leur élevage. Ce fût le choc, il eût un véritable coup de foudre pour le spectacle et l’ambiance du campo. Tous les mardis, les Tardieu l’emmènent visiter l’élevage à cheval. Il vit sa première corrida à Nîmes à l’époque où Paco Ojeda triomphait, puis il devint un fidèle des corridas « dures », Vic-Fezensac, Alès …
Le métier de boulanger industriel se met à changer : du four à pain on passe au surgélateur; nombre de concurrents disparaissent. Jean-Luc recherche alors une solution technique pour le pain précuit. En 1990, à Tarascon, capitale du monde comme chacun sait, Jean-Luc Couturier met au point un processus nouveau qui améliore sensiblement la qualité de la production du pain surgelé (« process 124 »). L’étranger s’y intéresse, à commencer par les canadiens, et JL Couturier devient vendeur de licences industrielles. Simultanément, épaulé par un fonds de pension, il crée des unités industrielles en France et à l’étranger.
Jean-Luc Couturier va assister à une corrida qui va profondément le marquer ; le 13 mai 1990 à Alès, il pleuvait des cordes, le paseo est retardé. Les taureaux de l’élevage du « Curé de Valverde », âgés entre 5 et 6 ans, furent exceptionnels de présence, qu’ils attaquent, chargent en faisant l’avion ou qu’ils se défendent comme celui qui fut condamné aux banderilles noires. Face à ces bêtes d’un autre temps, José Luis Galloso, José Antonio Campuzano et Paco Alcade firent face et réussirent à tirer l’impossible de certains toros. Ce fût une course de si grande émotion qu’en sortant des arènes, Jean-Luc Couturier déclara que, si un jour il se lançait dans l’élevage des taureaux, ce seraient des Valverde. En 1994, le Cura, fils du fondateur de l’élevage, décède. Les neveux qui assurent la gestion du domaine du Campo Charro sont loin d’y apporter le même soin, tant dans la sélection que dans les croisements. La propriété n’était pas en très bon état, seule la Chapelle était belle.
En 2000, le Groupe de boulange passe à 400 personnes et en 2005, avec l’appui du Groupe Soufflet, Couturier rachète les parts de son principal actionnaire. Il poursuit jusqu’en 2012 où il vend ses parts à son principal concurrent à las cinco de la tarde juste avant la fin de la feria de Séville.
Désormais « retraité » mais homme d’action et d’entreprise, la pétanque et l’inaction ne sont pas faites pour lui. Le lendemain de la vente, il prend la route de Salamanca pour rencontrer les deux neveux du Cura de Valverde. L’élevage n’était pas à vendre, la différence de prix était énorme entre l’estimation des propriétaires et la proposition de JL Couturier. Ce dernier a alors allumé un cigare en déclarant aux neveux : « Quand le cigare s’éteint, je m’en vais et ne reviens plus. » Ils se sont mis d’accord à la dernière bouffée. Ne possédant pas encore de terres pour accueillir les bêtes achetées, il demande de garder le bétail jusqu’à ce qu’il en trouve. Les vaches étant efflanquées, il fait immédiatement envoyer du pienso de la Crau pour leur refaire une santé. Le 30 avril, il embarque les vaches pour les mettre provisoirement chez des éleveurs voisins et accueillants en attendant de trouver des terres.
Il va trouver en pays d’Arles, entre Saint Martin de Crau et Maussane, un domaine de 220 hectares, le domaine de « Coste Haute » qui comprend 70 hectares de luzerne et de foin, 40 hectares de marais, et plus de 100 hectares de garrigues qu’il va clôturer et équiper pour l’élevage du toro bravo, avec toutes les installations nécessaires (plaza de tienta, cajones de soins, écuries…), un ensemble admiré par les éleveurs qui viennent visiter la propriété.
La médiocre qualité des soins et de la sélection opérés les dernières années sur le bétail de Valverde exige un rafraichissement du sang. Jean-Louis, désormais membre de La Unión (UCTL), peut et doit aller chercher des vaches du Conde de la Corte, race racine des Valverde. Le Comte va lui vendre 30 vaches pleines et aujourd’hui, 9 de ses erales sont de purs Conde de la Corte. Il va également prospecter les possibilités d’acquisition de bétail de El Torero issu de Salvador Domecq. Le 15 juillet 2012, dans les arènes de Chateaurenard, le nouvel éleveur Jean-Luc Couturier fournit son 1er lot de Curé de Valverde, avec 4 taureaux de 5 ans et deux de 4 ans qui donneront pas mal d’émotion.
Parallèlement, lors de prospections dans le Campos Charro et dans le sud, l’ex-banderillero devenu veedor « Mangui » suggère à J-L Couturier d’aller dans la province de Huelva rencontrer la famille, banquière et ganadera, des Garcia Palacios qui veut céder des fincas et des toros. Ils possèdent plusieurs fers dont celui historique de Concha y Sierra. Comme le dit avec humour notre invité, la variété des robes des Concha y Sierra ne peut laisser indifférent quelqu’un qui se nomme « couturier ». Les Garcia Palacios sont quelque peu scandalisés par la hardiesse de la proposition mais devant la force de persuasion, ils finissent par céder. Là encore le prix demandé est fort élevé et la négociation va durer une heure ; le temps de deux cigares. Le mundillo de La Unión a été très surpris de cette vente.
Ce nouveau bétail va également être installé dans le domaine de « Coste Haute ». Aujourd’hui, Jean-Luc Couturier possède quatre cent bêtes : 200 du « Cura de Valverde » et 200 de Concha y Sierra.

Jacques Tricon, Jean-Luc Couturier et Jean-Pierre Hedouin © MLBAC
Son objectif à moyen terme est de pouvoir fournir deux corridas en France et deux en Espagne. Il faut pour cela poursuivre le travail sévère de sélection entrepris sur les bêtes de Valverde (40 % des animaux achetés en 2012 ont été éliminés) et redonner de la force aux Concha y Sierra, en sachant qu’il est fort difficile de rafraichir le sang Vasquez – les Prieto de la Cal offrant une des rares possibilités -. Faire courir régulièrement les toros – au moins une fois par semaine – est indispensable pour leur donner de la résistance. En revanche à part les manipulations indispensables pour les soins réglementaires, il convient de ne pas multiplier les interventions sur le bétail. Deux périodes de naissance sont prévues et organisées dans l’année afin de faire tourner les sementales. L’idéal serait de faire une corrida avec des lots de 2 toros issus de trois étalons différents car s’ils sont issus d’un même semental, on ne s’aperçoit qu’au bout de 3 ans si les produits sont bons ou non.
En décembre 2013, Jean-Luc Couturier était au travail pour déplacer un semental qui le connaissait bien ; celui ci s’est gonflé en vue de le charger, son cheval s’est statufié, tétanisé. Attaqué l’éleveur a été envoyé en l’air, heureusement de l’autre côté de la clôture sans quoi, comme sa monture, il ne serait plus de ce monde. JLC fût d’autant mieux opéré que le chirurgien était le chirurgien des arènes d’Alès!
Sur quels critères sélectionner ? Les critères sont variables, l’éleveur écoute les avis mais il décide seul ; ainsi il y a 2 ans, Juan Bautista avait tienté deux vaches qu’il jugeait exceptionnelles mais l’appréciation de l’éleveur était différente. Jean-Luc Couturier préfère ne pas tienter avec des vedettes car elles recherchent trop de toreo esthétique et leur excellente technique peut masquer nombre de défauts. De fait, « ils ne montrent » pas la bête. De toute façon, JLC écoute les avis mais décide tout seul.
Jean Luc Couturier recherche un taureau de combat, c’est-à-dire un animal qui ne se couche pas dès la première pique. Pour combattre, le taureau doit disposer d’un potentiel physique et respiratoire qui lui permette d’aller a más, comme les Curé de Valverde alors que les Concha y Sierra ont trop tendance à aller a menos. Pour que les arènes se remplissent, la corrida doit avant tout transmettre de l’émotion. Pour cela, il faut des toros qui chargent et qui « en veulent ». Dans cette catégorie figurent encore plusieurs élevages. Il faut un travail impitoyable de sélection pour atteindre l’objectif de produire des toros qui transmettent au public et aux toreros et que les vedettes aient envie de toréer. Progressivement, les vedettes vont vouloir aussi affronter ce type de taureaux. En tienta, des éleveurs comme Garcigrande, ne gardent que 10 à 15% du total testé. Ils recherchent la race ; Couturier, lui, dit rechercher d’abord l’agressivité, le mordant pour faire remonter le niveau d’émotion du combat. En France, il y a quelque temps il y avait dix éleveurs de toros espagnols ; aujourd’hui, alors que le marché s’est réduit, il y en a 40, mais Jean-Luc Couturier, tout en étant en France, se vit comme « éleveur espagnol » avec deux fers inscrits à La Unión.
En 2015, Jean-Louis Couturier a fait combattre près de quinze toros : tous ont pris trois piques et ont eu du souffle. Les Valverde d’Alès ont fourni une grande course, avec un grand toro complet aux trois tiers en 6e. Le public, très aficionado, a retrouvé les Curas de 1990 ! Le lot de Concha y Sierra lidié à Aignan dans le Gers a été plus varié mais intéressant et les deux exemplaires sortis en corrida concours ont livré un bon 1er tercio. Globalement la saison a été bonne, surtout pour un élevage qui n’a que trois ans.
Si, comme cela s’est un moment présenté, il avait acheté, les toros de Garcigrande, Jean-Luc Couturier aurait certainement gagné de l’argent. Avec ses deux fers, il espère que dans cinq ans, il cessera d’en perdre. En 2013, il a perdu 200.000€, en 2014 il n’a perdu « que » 60.000€. La situation s’améliore. Torista passionné, il ne fait pas de toros pour les toreros mais pour les aficionados et il est convaincu que ses deux fers vont atteindre un haut niveau, chacun dans son registre, celui de la puissance pour le Valverde et celui de la noblesse pour les Concha y Sierra.