Ami du Club, où il est déjà venu avec son père en 1981, puis avec son épouse en 2001, Victorino a répondu, le 9 novembre, à notre invitation en compagnie de sa fille Maria del Pilar Martín Canto, vétérinaire, qui l’assiste dans la conduite de la ganaderia.

Au cours d’une soirée conduite par un échange ouvert avec les membres du Club, Victorino a mis l’accent sur les éléments qui doivent être privilégiés pour défendre, faire valoir et reconnaître les valeurs de la fête taurine dans un monde de plus en plus urbanisé et dominé par des références anglo-saxonnes, éloignées des racines culturelles du sud de l’Europe : la priorité à accorder au toro, à sa vie et à son combat, la promotion de la corrida dans la totalité de son déroulement et de ses trois tercios et l’unité pour promouvoir la Fiesta par delà les tensions catégorielles entre professionnels du mundillo.
Le toro est le seul foyer de l’afición
L’attention portée au toro, à la richesse et à la complexité de son comportement au campo, dans les corraleset en piste est le seul authentique foyer de l’afición, même si la connaissance de l’animal est plus difficile que le décompte des trophées des figuras. Il y faut de la passion et de la raison tant les facteurs qui entrent en jeu dans le comportement de l’animal sont nombreux et surprenants comme en témoigne le fait qu’en deux jours un lot peut sortir amorphe et un autre très combattif. Il convient d’être prudent vis-à-vis des explications trop simplistes et de toujours prendre en compte les effets des circonstances (y compris l’inconfort des corrales, comme à Béziers par exemple). Victorino met l’accent sur la constance des critères qui, au cours des bientôt soixante années, ont prévalu dans la conduite de l’élevage entre le père fondateur, le fils et la fille. Même si d’une saison sur l’autre, les résultats globaux peuvent connaître des variations et parfois des périodes plus ingrates, il existe une réelle continuité entre les animaux de « la corrida du siècle » de 1982 et ceux sortis récemment lors de la corrida nîmoise du 16 septembre, qui comporta des exemplaires variés et qui, selon le ganadero, ne fut pas faible. A la question du podium personnel de ses toros, Victorino a donné le tiercé suivant parmi les combats qu’il avait personnellement vécus : « Murciano », combattu à Madrid en 2002 par Luis Miguel Encabo, « Borgoñez », toréé à Séville par « El Cid » en 2007 et « Cobradiezmos », (Séville 2016) qu’il qualifie de toro le plus mediático tant il est connu par ceux qui demeurent éloignés de la corrida, y compris dans les jeunes générations et dont il confie, avec humour, qu’il est actuellement parfaitement heureux, car il vit entouré de vaches, possède une nombreuse descendance dont il n’a pas à se préoccuper, car c’est Victorino et Pilar qui s’en occupent !
Maria del Pilar Martín Canto © MBLAC
A propos de l’indulto, Victorino dénonce les excès qui tendent à inscrire la grâce du toro dans une échelle de trophées (après les oreilles, les oreilles et la queue) répondant ainsi à la gloriole de toreros, d’empresas et aux aspirations d’un public avide « d’exploits » à tweeter. Seule l’exceptionnelle combativité de l’animal peut justifier l’indulto, quelle que soit la catégorie de l’arène, et il ne doit intervenir que si l’éleveur est déterminé à l’essayer comme reproducteur. Cela évitera, comme récemment, qu’un animal injustement gracié soit abattu dans les corrales.
A Illescas, réhabilitation du tercio de piques
Avec la « corrida totale », organisée début octobre à Illescas depuis trois ans, Victorino promeut la restauration de l’ensemble des tercios de la lidia et, notamment, du tercio de pique qui est la phase où le toro est l’acteur majeur. Il déplore l’évolution qui a réduit la corrida à la seule faena de muleta, transformant le 1er tiers à un simulacre ou à un massacre, limitant le coup d’épée à sa seule efficacité sans prise en compte de la qualité de l’exécution et favorisant des faenas de muleta interminables et le plus souvent dénuées d’intérêt. De surcroit il souligne la très mauvaise exécution de la majorité des piques avec un cheval trop lourd, – malgré les apports intéressants de Bonijol- , contre lequel vient buter le toro, des picadors qui, sans étrier gauche raccourci, ne savent plus faire contrepoids à la poussée du toro, lancent leur vara comme des pécheurs à la ligne pour placer les piques trop en arrière… Le lancer de la pique doit s’effectuer quand, au terme de sa charge, le toro baisse la tête pour frapper, juste avant d’entrer en contact avec le caparaçon, (Victorino soulignant que c’est toujours au moment de cet humillar que l’on doit piquer, banderiller et porter le coup d’épée).
L’afición française, un atout important pour la fiesta
En tant que président de la Fundación Toro de Lidia, Victorino Martín a clairement exposé ce qui faisait l’originalité de la ligne d’action de cette instance, créée en 2015 pour non seulement assurer une défense juridique en réponse aux attaques conduites contre la fiesta del toro et ses acteurs, mais aussi pour mobiliser toutes les forces de la société civile qui adhèrent à la fête taurine comme élément vivant de leur culture. Cette stratégie fédératrice se doit de demeurer en marge, sans les ignorer, des conflits d’intérêts entre les professionnels du monde taurin qui ont conduit à l’échec des tentatives précédentes de défense et promotion de la tauromachie.Par delà la défense juridique, il s’agit de contribuer à une meilleure visibilité des événements taurins dans les médias et sur l’ensemble du territoire avec l’appuides délégations provinciales, de soutenir tous les types de spectacles sans exclure les plus populaires. Il convient également avec les municipalités volontaires d’aider à la restauration et à la réouverture de quelques arènes qui ne sont plus en activité depuis quelques années. Une coordination entre la Federación et les initiatives de même nature, conduites en France et au Portugal, est en cours.

Pour Victorino, l’afición française qui, avec bonheur, associe constance, fidélité à ses traditions et rigueur rationnelle, représente un atout important pour l’avenir de la Fiesta.