En accueillant Sergio Aguilar, le Club a souhaité lui transmettre tous les témoignages reçus de membres ou d’amis du Club qui exprimaient leur admiration et leur gratitude pour l’intensité des émotions que son toreo authentique leur avait donné de vivre.

Revenant sur son parcours, Sergio Aguilar, Madrilène du quartier de Vallecas, dont le père avait été novillero, décrit ses années de jeunesse, dont il conserve d’excellents souvenirs, comme consacrées au football, au judo, aux balades avec les jeunes du quartier. Il allait également à des capeas, mais il ne s’est pleinement investi dans la tauromachie que lorsqu’il est entré à l’école taurine de Madrid. Il y a côtoyé Julian Lopez, avec qui il était camarade et qu’il avoue admirer maintenant pour sa science des toros. Dans ces années de la seconde moitié de la décennie 90, les maestros comme « Manzanares« , « Espartaco« , Ponce l’ont particulièrement marqué, mais il confesse un impact tout particulier du solo de « Joselito » lors de la Goyesca de la Comunidad en 1996.
A l’occasion d’une novillada non piquée, Antonio Corbacho, qui supervisait un autre aspirant, l’a remarqué et, bien qu’il ait accumulé les pinchazos, lui a proposé de s’occuper de sa formation. Les échanges et apports ont alors été aussi nombreux que riches, ils ont permis un rapprochement de José Tomas dont la tauromachie constitue pour Sergio Aguilar une référence majeure.
Ses années de novillero ne furent guère faciles : une grave blessure au genou le laisse dans l’impossibilité de toréer pendant onze mois ; puis, à l’automne 2001, une bousculade dans la banlieue de Madrid lui cause des lésions aux cervicales, l’obligeant à un nouvel arrêt de plusieurs mois. Corbacho l’incite à franchir le pas de l’alternative. Il va la recevoir à Madrid en juin 2003, lors des dernières corridas de la San Isidro, devant des toros médiocres et difficiles de Partido de Resina ; il venait de se fracturer le péroné une semaine avant, ne put toréer que grâce à une infiltration et il garde un souvenir ambivalent de cette alternative douloureuse.
En revanche, il salue l’apport d’Antonio Corbacho, qui avec sa forte personnalité, avait une idée parfaitement claire du chemin à parcourir pour pouvoir pratiquer un toreo authentique. Il se tournait vers des personnalités qui avaient en commun à la fois une force de courage pour parvenir à un maximum d’émotion et une profonde quête de vérité dans le toreo. Le parcours qu’il proposait était des plus exigeants : José Tomas l’a réussi et Sergio Aguilar estime qu’il y a partiellement échoué ou du moins qu’il l’a moins bien réussi, mais il conserve un excellent souvenir de cette exigence.
Après l’alternative, il a connu une année 2004 assez difficile avec deux blessures graves (Séville et Valencia), puis plusieurs années où il était peu présent dans les arènes, mais où il a toujours toréé dans des arènes importantes (Madrid, Valence, Barcelone). Les premières années qui suivent l’alternative constituent toujours une étape difficile car le public attend du jeune torero qu’il triomphe rapidement, ce qui n’a pas été son cas. Quant aux blessures, elles font partie de la profession. Faisant référence aux différentes opérations qu’il a subies dont une au genou à Houston, il fait remarquer que le toro ne sait pas que le torero s’est fait opérer et ne doit pas le savoir. Le torero a une telle impatience de se retrouver face au toro qu’il prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer le plus rapidement possible afin de se retrouver devant le toro.
Grâce à son entêtement et à sa persévérance, les premières années ont été suivies d’une période très heureuse où il a toréé bien davantage tout en parvenant à faire un toreo d’émotion et de vérité compris du public. Il mentionne par exemple sa faena gauchère devant un toro de José Escolar à Vic-Fezensac en 2008 comme un grand moment de sa carrière en soulignant que « El Fundi« , lui aussi à l’affiche, l’avait alors félicité en lui disant qu’il avait atteint un sommet auquel les figuras n’accèdent que très rarement ! Il signale aussi le combat à Cenicientos, près de Madrid devant un autre Escolar qui lui a fait passer un moment très difficile. Ce toro avait blessé deux banderilleros, pourtant très expérimentés, et lui-même a failli se faire prendre ; l’éleveur lui a avoué que le toro avait eu un problème d’œil qu’il croyait avoir soigné.
Pendant cinq saisons, il va connaître d’importants succès en France où son sérieux, sa façon de toréer, de donner l’avantage au toro pour plus d’émotion sont appréciés par le public qui l’a toujours bien accueilli. Il met l’accent sur le fait que le public français donne la même importance aux trois tercios de la lidia dont le tercio de piques, plus particulièrement à Céret et à Vic, alors qu’en Espagne, le public considère les deux premiers tiers comme une simple formalité. Sergio Aguilar se souvient d’un toro de José Escolar à Céret qui est allé quatre fois au cheval avec force à tel point qu’il arriva épuisé au tercio de muleta. Il n’a rien pu faire au 3e tiers, mais le public lui a été reconnaissant d’avoir mis en valeur le toro et il a été réengagé l’année suivante. Ce fut le cas aussi à Vic où il vint souvent, se souvenant tout particulièrement de la faena qu’il fit un lundi de 2013 à un toro d’Alcurrucen qui n’était pas clair en début de faena, mais qui, après s’être défini, lui a permis de bien le toréer. En revanche, il regrette de ne pas être revenu à Arles où il avait pourtant triomphé.
Quant à l’encaste favori, celui qui lui permettrait d’être au mieux de son toreo, il opte pour Victorino Martin parce qu’il a la meilleure charge, baisse beaucoup la tête et même s’il est très exigeant, sa charge peut atteindre une grande profondeur propice à exprimer tout ce qu’il voudrait dire.
Au sujet de son passage de l’or à l’agent en 2017, Sergio Aguilar précise d’emblée qu’une telle mutation n’est pas chose facile. La décision se mûrit ; quand on passe deux ans sans pratiquement toréer, de temps à autres en tienta, mais jamais dans une arène, il faut faire face pour conserver le moral, s’entrainer régulièrement au cas où, attendre le téléphone qui ne sonne pas et affronter les difficultés économiques. Passer au traje de plata est difficile ; pendant un certain temps on y pense sans y croire, puis le passage devient naturel. Sergio Aguilar affirme ne pas regretter son choix. Il considère qu’il a eu de la chance ; depuis plusieurs mois il a toréé avec de nombreuses figuras, Talavante, Manolo Sanchez, les frères Adame, « Juan Bautista« , « El Juli » et Alvaro Lorenzo (en cuadrilla fixe) ; il a totalisé en 2018 soixante six corridas ce qui lui a permis de bien se réinsérer dans le monde du toro. Ses anciens compagnons d’armes l’ont bien accueilli en tant que subalterne, ce sont d’ailleurs eux qui l’ont appelé pour l’engager et il se dit très fier d’avoir gagné leur confiance.
A propos des attentes des matadors envers leurs banderilleros, Sergio Aguilar remarque qu’une évolution s’est produite ces dernières années : le maestro souhaite que l’ordre soit respecté dans la lidia, que tout soit fait selon les règles et de façon harmonieuse, que les hommes d’argent ne donnent pas plus de passes de cape qu’il n’est nécessaire. Ils apprécient que les hommes d’argent sachent selon les cas, lâcher le taureau (soltarlo) ou le serrer (apretarle), baisser la main avec la cape quand cela est nécessaire et mettre en avant les qualités et les défauts de chaque bicho. A la sortie du cheval, le toro sort désordonné ; les deux ou trois lances alors donnés par le banderillero sont essentiels pour permettre au maestro de voir comment charge le toro. Sergio Aguilar se souvient d’un Pedraza de Yeltes, à Dax pour lequel « Juan Bautista » lui demanda de faire passer le toro à droite pour voir comment il se définissait. Bien entendu, cela exige que le banderillero soit très sûr techniquement et que le maestro ait pleinement confiance en lui. Il semble que les matadors sont beaucoup plus exigeants aujourd’hui sur le déroulement de la lidia qu’ils ne l’étaient antan. Quant à lui, il remarque qu’il est désormais tellement impliqué dans la brega qu’il ne se pose pas la question de savoir s’il aimerait avoir une muleta face au toro qu’il travaille avec la cape.
Les maestros apprécient également que les hommes d’argent brillent dans la pose des banderilles, car cela prédispose le public à mieux entrer dans la faena. Sergio Aguilar posait les banderilles quand il était novillero, mais il a cessé de le faire comme matador de toros. La première fois qu’il l’a fait en tant que banderillero, c’était face à un Miura à Céret, un exemplaire très grand et très haut. Il a eu d’abord un moment de panique, puis cela s’est très bien passé. Sa fierté est de se voir applaudir dans des arènes de première catégorie et de s’y desmonterarse (comme il le fit souvent au cours de la temporada 2018).
Pour Sergio Aguilar, le banderillero de référence est Curro Molina, c’est un homme de grande expérience et un professionnel complet. Au sujet de l’aide que peuvent apporter les hommes d’argent aux novilleros, outre la meilleure lidia propre faciliter leur travail, il convient d’être réservé, avec des novilleros qu’on ne connait pas bien, il convient de ne pas leur donner des conseils très nuancés, car ils ne les comprennent pas forcément. Evoquant la dimension économique, Aguilar précise qu’il y’a d’énormes différences d’honoraires entre les toreros et en fonction de la catégorie des arènes ; lui-même pendant les deux ans où il n’a pas toréé, a refusé des contrats tellement bas qu’il ne pouvait accepter pour des questions de dignité. Pour les banderilleros, les salaires sont beaucoup plus réglementés en fonction du positionnement du torero qui engage et de la catégorie de l’arène. Seuls les matadors du groupe A ont une cuadrilla fixe. Avec les autres, le marché est plus libre, c’est une question d’engagements. Bien sûr, si le banderillero s’est engagé vis à vis d’un matador, il lui donne la priorité et travaille avec les autres en fonction de ses disponibilités.
Chaque matador organise le fonctionnement de sa cuadrilla et définit le rôle de chacun, en matière d’organisation (lidiador, banderillero…). Il n’y pas de dispositions réglementaires, mais des traditions. Ensuite l’homme d’argent accepte ou pas le rôle que le matador lui définit. Cela se négocie.
Les relations entre les hommes d’argent et les picadors varient en fonction des cuadrillas. Pour le groupe A, c’est plus facile, l’équipe se connaît. Pour les autres, cela dépend des hommes. Si les banderilleros connaissent le picador, cela facilite le fait de lui passer des messages sur le toro, car, avant d’entrer dans l’arène, le picador est plus préoccupé par son cheval que par le toro qu’il n’a pas vu. Dans un esprit de travail d’équipe, les banderilleros peuvent lui donner leurs impressions et lui faire passer des messages. Le travail du picador est fondamental car son action influe beaucoup sur le comportement du toro dans la suite de la lidia. En dehors de l’arène, les picadors ont beaucoup changé. S’il y a encore les « traditionnels », il y a aussi beaucoup de jeunes qui s’entraînent et font du gymnase !
Quant à l’évolution de la présence des jeunes dans la sphère taurine, Aguilar fait remarquer que, de son temps, il y avait 200 élèves à l’école taurine de Madrid et même s’il y en a moins aujourd’hui, ils demeurent nombreux. La désaffection, si désaffection il y a, viendrait plutôt des parents, qui désapprouvent la participation de leurs enfants à l’école taurine, alors que les enfants voient les toreros comme des êtres particuliers dont ils sont très admiratifs. Il est certain que la société change, le futur n’est pas clair.
Pour ce qui est de la temporada 2019, Sergio Aguilar a des idées précises, mais il est encore trop tôt pour pouvoir en parler.
Quant à son meilleur souvenir il est fort récent ; il remonte au festival auquel il a participé à Illescas, non seulement il y a triomphé, mais son jeune fils qui ne l’avait jamais vu toréer auparavant était présent et l’a accompagné dans son tour de piste. Sergio Aguilar voit l’avenir très positivement, et on ne peut que lui souhaiter la plus brillante réussite dans la nouvelle étape de sa carrière de torero.
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