Paco March se présente comme un aficionado qui vit en exil taurin permanent, soulignant combien se déclarer aficionado en Catalogne est très mal vu. Il a apporté au Club Taurin de Paris l’ouvrage intitulé Toreros de Cataluña, rédigé en castillan, catalan et français, qui présente les biographies de tous les toreros catalans et de quelques « figuras » qui se sont forgé un avenir dans les arènes de Barcelone. Il se dit heureux de retrouver Paris, évoque son premier voyage quelques mois après mai 68 au cours duquel il a goûté les livres, chansons et films qui, à l’époque, étaient strictement interdits dans l’Espagne franquiste et précise que son dernier séjour parisien, en 2013, était lié à la présentation du livre autour de Jose Tomas et Navegante.
L’exigence d’authenticité des aficionados est un foyer d’espoir
Paco March se propose de donner son point de vue personnel sur la saison 2018 qui vient de s’achever sans entrer dans les détails que l’on peut consulter sur Internet. A cet égard, malgré tout ce qui peut se dire et s’écrire sur les attaques contre la fiesta et les tensions internes au monde taurin, Paco March affirme son optimisme, même s’il se demande s’il n’est pas plutôt un désir qu’une réalité. L’exigence d’authenticité des aficionados constitue un foyer d’espoir, on l’a vu avec le succès de toreros modestes, mais authentiques comme Octavio Chacón et Emilio de Justo, et bien sûr avec les sommets de toreo classique offerts par Diego Urdiales à Bilbao et surtout à Madrid. Le retour de réalités intangibles possède une telle force que tout est bouleversé. Au nombre des pousses d’espoir (brotes verdes) sur lesquelles Paco veut mettre l’accent, il faut aussi mentionner l’importance de la jeune génération dans sa grande diversité. Derrière Roca Rey couronné, on trouve Ginés Marin, Alvaro Lorenzo, Román, Pablo Aguado (qui vient de confirmer à Madrid), Tomas Campos, Jésus Enrique Colombo, Luis David, et chez les jeunes Français Juan Leal, Thomas Joubert et d’intéressants novilleros.
Les « figuras » quant à elles, maintiennent un statut qui, pour certaines d’entre elles, n’est pas toujours en accord avec leur moment personnel. Ainsi, Morante de la Puebla a fait une saison bien terne, Paco craint que le personnage qu’il se complait à jouer ne mange à la fois la personne et le torero. Avec l’apoderado choisi pour 2019, il cherche la facilité. On espère bien entendu pouvoir se tromper.
La corrida est une fête universelle
Roca Rey n’a pas été un simple coup d’air frais, il constitue une tornade. En tant que tel, il vient contredire l’idée que la tauromachie est la fête nationale espagnole, idée qui a fait tant de tort à la tauromachie alors que la corrida est une fête universelle. Lui qui vient du Pérou, il réussit en trois saisons à s’installer au sommet. Paco March ne se souvient pas d’un tel raz de marée récent ; il lui faut remonter aux années 80 avec l’arrivée du colombien César Rincón réveillant le goût pour la tauromachie. En outre Roca Rey, qui est le fils d’une grande famille péruvienne très aisée, n’a pas hésité à quitter le confort de celle-ci où l’avenir lui était assuré pour affronter les difficultés et la solitude du toreo et se former en Andalousie sous la férule de José Antonio Campuzano. Sa détermination fait même réfléchir ses aînés qui ont plus de 10 ans d’alternative. Que peut-on lui reprocher ? On peut, comme un critique de La Vanguardia (le seul quotidien catalan à avoir publié des sujets taurins jusqu’à la disparition de la tauromachie en Catalogne) qui vient de consacrer deux pages à Roca Rey, expliquer que le jeune torero ne peut pas être considéré comme un maestro car il ne torée que les élevages pour vedettes. Mais il n’est pas certain que le public supporterait longtemps les effets incertains d’une telle diversification car ce n’est pas ce qu’il vient voir. Si la tauromachie de Roca Rey peut apparaître comme une pyrotechnie éclatante; elle est aussi toujours le fruit d’un engagement total ; de surcroit, il a gagné en profondeur dans l’exécution des figures les plus classiques. En outre, phénomène essentiel, avec son allure très moderne, un look d’aujourd’hui qui, chez lui, n’est pas une posture, mais lui est propre et qui, d’une certaine manière exprime son concept de la tauromachie, Roca fait venir aux arènes les jeunes qui sont la relève de demain, S’il échappe à la pression du milieu et si les taureaux l’épargnent, Roca Rey, riche de tout ce qu’il apporte, a un grand avenir.
Le mystère Talavante
Talavante est un mystère en lui-même. Pourquoi s’en va-t-il ? Deux hypothèses : l’une pose qu’à la suite de son triomphe de la San Isidro à Madrid, Talavante aurait demandé à son apoderado « Matilla » d’augmenter sensiblement son cachet et que Matilla aurait estimé que, pour un artiste ne remplissant pas les arènes, c’étaient là des exigences irréalistes. L’autre pose qu’après leur rupture de juin, Antonio Jiménez « Matilla« , omniprésent directement ou indirectement dans le mundillo, aurait incité les empresas à fermer leurs portes à Talavante. Que ce soit la thèse des prétentions surévaluées ou celle du veto, restait à Talavante la chance de sa double prestation lors de la feria madrilène d’otoño pour s’imposer. Le sort en décida autrement ; restait à ce grand torero et à cet artiste unique le choix de se faire désirer, on sait que la rareté donne du poids au toreo que sont capables de créer quelques grands artistes comme lui. De toute manière, qu’il revienne ou pas, Talavante demeure l’un des toreros qui a énormément apporté à la tauromachie des dix dernières années. Avec Antonio Corbacho, il était supposé marcher sur les traces de José Tomas; avec Curro Vazquez, il a été génialement novateur. Pourquoi l’a-t’il quitté, par souci d’indépendance ? En se faisant apodérer par Matilla, ce n’était vraiment pas le cas. On ne sait pas s’il reviendra, on ne peut que le souhaiter vu son apport à la tauromachie. Pour cette seule année 2018, Paco gardera en mémoire ses doblones de muleta basse, dessinés en regardant le tendido 7 devant son premier Nuñez del Cuvillo le mercredi 16 mai à Madrid.
Fidèle à son approche personnelle et non exhaustive de la saison, Paco March cite ensuite brièvement quelques noms de « toreros intermédiaires » : Antonio Ferrera, Juan del Alamo, Curro Diaz (qui fait de son indépendance sa raison d’être), Lopez Simon, El Cid (qui va s’arrêter), Daniel Luque (qui remonte), Ruben Pinar, Cayetano, Robleño… et tient à rendre hommage au courage indomptable de Paco Ureña et à saluer la dernière saison d’Alberto Aguilar et celle de Juan Bautista qui s’en va en plénitude après avoir montré l’étendue de son métier en toréant avec succès toutes sortes d’élevages.
En réponses aux questions, Paco March aborde rapidement quelques points divers :
A propos de la critique taurine, il rappelle que Curro Romero affirmait que la critique était un vilain mot ; en effet, les critiques font trop souvent mal leur travail car ils sont toujours subjectifs et n’expliquent jamais ce qu’ils voient et pourquoi c’est bon ou mauvais. De plus, l’argent, au centre du mundillo, vient ajouter de la confusion et a un pouvoir de corruption.
A propos de l’afeitado, il souligne que, depuis l’utilisation, des fundas, les cornes n’ont jamais été aussi pointues ; ce qui peut provoquer des doutes ou des interrogations quant à la manipulation des cornes. Il n’empêche, il n’y a qu’une seule vérité, celle de l’affrontement de l’homme et du taureau, qui est la seule dimension authentique.
A propos d’une certaine frénésie des indultos ou « indultite », il considère que cet excès rentre dans le jeu des animalistes (en tentant en vain qu’ils regardent la corrida sous un jour meilleur) et apporte un « coup de pub » à certains éleveurs. La pire offense que l’on puisse faire au toro brave, c’est de le regarder avec compassion et miséricorde, c’est de le mépriser en tant que toro de combat. La seule grâce possible c’est le toro qui par sa bravoure dans tous les sens du terme, doit se la gagner.
A propos de la situation de la Fiesta en Catalogne, il apparaît que dans le contexte actuel les taureaux ne reviendront pas à Barcelone car la municipalité actuelle ne le souhaite pas et, même si l’annulation est déclarée anticonstitutionnelle, la mairie mettrait des tels obstacles administratifs qu’il serait impossible de les outrepasser et cela même si le nouveau maire élu était en faveur de la corrida, comme c’est le cas de rares candidats.
Aller aux toros pour s’émouvoir et pas pour faire un acte notarial du nombre de passes
Pour conclure Paco March tient à affirmer qu’il va aux taureaux pour s’émouvoir et non pour faire un acte notarial du nombre de passes ; ses dernières émotions très fortes, ses moments majeurs de la temporada 2018 sont :
Tout d’abord, l’exceptionnel salut de cape de 13 lances, dessiné avec une lenteur de rêve par José Tomas devant le 1er toro de Cuvillo, lors de son unique sortie de l’année à Algeciras au cours de laquelle José Tomas, suivi de Perera par contagion a suspendu le temps. Tout a été prodigieux, en crescendo absolu qui demeure toujours présent dans le cœur.
Ensuite, la faena de muleta d’une pureté et d’une vérité parfaite construite par Diego Urdiales devant son 2e toro le 7 octobre à Madrid source également d’une émotion ineffaçable.
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